Mais nombre d'entre eux sont mariés et ont même des enfants. Ils cachent leurs fantasmes morbides et leurs meurtres brutaux sous la façade de l'époux aimant ou du père de famille attentionné. La question qui se pose alors est : comment leurs épouses peuvent-elles ne pas savoir ? Complices ou victimes ? Responsables ? Coupables ? Aveugles ? Linda Yates a dormi pendant deux ans dans une chambre à coucher alors qu'un cadavre était enterré sous la fenêtre. L'époux de Ralphene Brudos lui interdisait de descendre au garage. Elle devait l'appeler sur l'intercom lorsqu'elle voulait quelque chose dans le frigo. Alice Carignan a trouvé un bouton de la robe d'une femme dans la voiture de son mari et a commencé à se poser des questions sur ses fréquents séjours au Canada. Leurs époux allaient faire les gros titres des journaux parce qu'ils étaient des tueurs en série : Robert Yates, Jerome Brudos, Harvey Carignan. Yates a plaidé coupable pour les meurtres de 13 femmes dans l'Etat de Washington lors de son procès en 2001. Brudos est emprisonné à vie dans l'Oregon pour plusieurs meurtres de femmes. Carignan est dans une prison du Minnesota parce qu'il a assassiné des femmes près de Minneapolis et qu'on le soupçonne d'avoir également tué dans l'Etat de Washington. Leurs épouses, entre-temps, sont devenues le point de mire de cette terrible question : comment ont-elles pu ne pas savoir ? Judith Ridgway n'a pas voulu répondre aux nombreuses questions des policiers qui s'étonnaient de son aveuglement, de sa dévotion envers son mari, qu'elle trouvait «doux et gentil». Elle était la troisième épouse de Gary Ridgway, reconnu coupable de 48 des meurtres attribués au «Green River Killer». Il a fallu qu'il plaide coupable pour qu'elle ouvre enfin les yeux et demande le divorce, qu'elle a obtenu en 2003. Les experts donnent cette réponse : les tueurs en série portent un «masque de normalité». Les épouses ne posent pas de questions. Le mariage – n'importe lequel – est une chose complexe. Prenez l'union de Linda Yates avec son mari. 26 années. Dans une interview avec la Spokesman Review, l'une des rares qu'elle ait données, Linda Yates a divulgué certains détails sur son ménage. Elle soupçonnait son mari d'infidélité. Ils se querellaient souvent sur des questions d'argent. Ils ne s'aimaient plus, n'étaient plus tendres l'un envers l'autre. Elle a expliqué qu'elle est restée pour les enfants. «Ils aimaient leur père, mais j'ai souffert de rester.» Beaucoup de mariages ressemblent à celui des Yates. Mais ce genre de résultat final est plutôt rare. Les tueurs en série sont rarement mariés pendant qu'ils tuent, bien que certains se marient (plusieurs fois, parfois) à un certain moment de leur vie. «Ils suivent le mouvement, comme n'importe quelle personne normale», dit Michael Newton, auteur de l'Encyclopédie des tueurs en série. «Certains de ces hommes se sont mariés plus de fois qu'Elizabeth Taylor, et ça ne marche jamais parce qu'ils ne peuvent pas supporter une relation très longtemps, quelle qu'elle soit.» Peu de recherches ont été menées sur les femmes qui épousent des tueurs en série, ou sur la nature de leur relation. Ces tueurs en série qui restent mariés ont tendance à avoir des épouses soumises, qui ne s'affirment pas, ne posent pas de questions et qui ont sans doute peur de perdre leur «homme». Lorsque l'on découvre qui est réellement leur mari, ces femmes perdent en fait beaucoup plus que leur époux, y compris leur vie privée. «Je pense que les gens ont l'impression qu'un tueur en série est quelqu'un que vous pouvez repérer à des kilomètres», dit Keith Kirkingberg, aumônier au département du shérif du comté de Spokane, qui a travaillé avec la famille Yates. «Cela ne fait qu'ajouter au fardeau de l'épouse, parce que lorsqu'elle dit 'Je n'en savais rien', les gens répondent : 'Oh, allez, comment est-ce qu'elle pouvait ne pas savoir ?'» Avec du recul, Linda Yates a dit au reporter de Dateline (NBC) en 2001 qu'il y avait effectivement des indices, des événements troublants : par exemple, lorsque son mari allait «chasser» dans la forêt, mais qu'il mettait de l'eau de Cologne. «Mais, dit-elle, il avait toujours réponse à tout. Des réponses déjà préparées dans sa tête, je crois.» Les tueurs en série peuvent devenir des professionnels de la double vie. Imaginer le pire «Je ne pense pas que l'épouse savait. Il y a beaucoup de femmes qui ne savent pas vraiment ce que fait leur mari», dit Ann Rule, écrivaine spécialisée dans les livres de «true-crime» et ancienne «policière» à Seattle. «Une femme va tout s'imaginer, même que son époux est homosexuel ou qu'il l'a trompe, et seulement après qu'il est un tueur en série.» Des centaines de femmes ont appelé Ann Rule depuis 1982 pour lui raconter des histoires sur le comportement bizarre et effrayant de leur époux ou ex-mari. «Ces femmes ont des soupçons qu'elles ne veulent pas croire», dit Rule. «Leurs maris sont partis pendant des heures, ils reviennent sales ou mouillés ou nerveux ou saouls ou somnolents ou sentant mauvais, et sans explication... Toutes ces femmes ont été très soulagées lorsque je leur ai dit qu'il existe tant de femmes racontant la même histoire et dont le mari n'est pas le Green River Killer.» Mais, tout comme Linda Yates, il y a beaucoup de femmes – avec ou sans soupçons – qui ont continué à mener une relation qui était loin d'être parfaite. Laurie Strong a vu cela bien des fois dans son travail avec des couples en tant qu'assistante sociale. «La réalité est que le mariage est une chose très compliquée et qui doit répondre à beaucoup de besoins. Ce qui est acceptable pour une personne peut ne pas l'être pour une autre», dit Strong. «Je pense que les gens restent dans des mariages qui ne fonctionnent pourtant pas bien, pour... tout un tas de raisons. C'est bien plus complexe que ce que nous pouvons dire.» Conclusion : il est totalement injuste de juger l'épouse d'un tueur en série, surtout si celle-ci n'a jamais aidé son mari à tuer. «L'épouse, si elle reste dans les parages, doit être soit ignorante, soit soumise», dit Newton. «Mais il y a aussi la division dans la personnalité du tueur, la dualité... Je crois que nous ne devrions pas exclure la possibilité que même un monstre puisse tomber amoureux.»