C'est parce que la société algérienne a subi des bouleversements dans le sang et la souffrance aussi bien avant qu'après l'indépendance que ses repères traditionnels ont été chamboulés et qu'une nouvelle échelle des valeurs humaines tarde à se rendre visible ; les rapports sociaux y sont extrêmement rudes et compliquent énormément la vie des citoyens, quelle que soit leur situation, y compris les couches aisées. Que dire alors des groupes sociaux fragiles comme les femmes et les enfants, et plus encore de ce groupe fragilisé par le temps que constituent les personnes âgées ? Le système, efficace faut-il le dire, de solidarité traditionnelle ayant éclaté, la personne âgée se retrouve en situation de précarité morale même au sein de la cellule familiale, quand celle-ci, comme cela se produit beaucoup plus souvent qu'on ne le peut le concevoir, l'abandonne dans un centre de vieillesse ou la jette carrément à la rue. C'est cruel, mais c'est comme ça. Ce phénomène malheureux dans tous les sens du mot a attiré l'attention, une attention peinée, de certaines bonnes volontés humanistes qui se sont organisées pour venir en aide aux personnes âgées et les tirer de leur isolement et de leur marginalisation matérielle ou morale, ou les deux à la fois. Maître Houchati H'sen, avocat de métier, représente bien les bonnes volontés évoquées qui, avec le concours d'autres compagnons que la condition de la personne âgée ne laisse pas indifférents, a fondé la première association d'aide et de soutien aux personnes âgées. Le Temps d'Algérie : Voulez-vous nous présenter l'association que vous avez fondée il y a plus de vingt ans avec d'autres personnes de bonne volonté ? Maître Houchati H'sen :L'association a vu le jour avec l'émergence des premiers bourgeons du mouvement associatif en 1988. Il s'agissait, pour nous, de défricher le champ relatif à la personne âgée. Nous étions à la recherche de mécanismes à même de conforter, matériellement et moralement, la condition sociale de la personne âgée, et d'assurer son épanouissement au sein de la société. C'est dans cette perspective qu'a été créée l'Association d'Aide et de Soutien aux Personnes Agées, par abréviation l'AASPA. Dans ce cadre, il y a effectivement beaucoup de choses à faire, en l'occurrence la prise en charge de la personne âgée, son handicap et tout son microenvironnement. De plus, nous militons toujours pour que l'intérêt accordé à la femme et à la protection de l'enfance se manifeste à l'égard de la personne âgée. C'est là, d'ailleurs, une des priorités que s'assignent les pouvoirs publics en raison de l'espérance de vie qui est passée, en Algérie, de 52 à 73 ans pour les deux sexes durant ces trois dernières décennies. Quel est le champ d'intervention de l'association ? Le souci fondamental, c'est d'éviter à la personne âgée les frustrations ou, plus globalement, lui épargner toutes les peines morales et matérielles qui peuvent la précariser davantage ; bref, de faire en sorte que sa dignité soit garantie et respectée. De ce fait, nos activités s'articulent autour de deux axes principaux, à savoir le social et le culturel. Le premier consiste en l'entretien matériel de la personne âgée pour son épanouissement, le second de réunir les conditions à même de permettre aux personnes âgées de lutter contre le phénomène de la marginalisation et de leur donner la faculté d'être toujours utiles à la société par leur savoir, leur sagesse, leur expérience et leur humilité. En fait, la vieillesse ne doit pas être comprise comme une tranche de vie, mais plutôt comme un état d'esprit. Comment évaluez-vous vos responsabilités à l'égard de cette frange de la population ? Nos responsabilités ne sont pas directes ; nous avons une responsabilité morale et nous essayons de compléter ce qui est fait par les pouvoirs publics. Nos actions ne peuvent qu'être complémentaires. Toutefois, nous nous interrogeons toujours quant au sens à donner à la vieillesse et aux politiques qui en découlent. Il nous faut donc procéder à une révision de notre regard sur la vieillesse, et ceci s'accompagne d'un apprentissage collectif. Pour en revenir à notre association, les efforts louables que prodiguent ses membres (médecins, avocats, journalistes et de nombreuses bonnes volontés) ne semblent malheureusement pas suffisants. Il m'apparaît utile de souligner que la prise en charge efficiente est du ressort prioritaire et exclusif des pouvoirs publics. Quels sont vos projets dans l'immédiat ? Parallèlement à la mise en œuvre de notre programme annuel, nous envisageons d'aller en profondeur dans le traitement multiforme de la condition de la personne âgée. Aussi, par-delà des actions ponctuelles, nous travaillons à coordonner les efforts des associations ayant le même objet pour arriver, à terme, à une forme de fédération nationale d'aide et de soutien à la personne âgée, et constituer ainsi un partenaire privilégié des pouvoirs publics. Nous voulons établir des passerelles avec toutes les bonnes actions allant de la programmation des journées d'étude et séminaires. L'objectif essentiel visé, c'est l'élargissement de la chaîne de solidarité autour de cette frange de la population, pour que dorénavant, notre regard sur cette catégorie de la population soit celui du respect et de la dignité, et non celui de la pitié qui est, d'ailleurs, la compagne intime du mépris.