Un documentaire algérien sur les fractures socio-psychologiques d'un pays en crise... Aliénations est le titre d'un film sur la souffrance mentale en Algérie entre hier et aujourd'hui. Réalisé par Malek Bensmaïl, l'auteur de ce documentaire, il le dédie à son père, Belkacem Bensmaïl, professeur en psychiatrie, l'un des fondateurs de la psychiatrie algérienne. C'est parce que l'Algérie est un pays jeune travaillé par une longue histoire qui aura connu des bouleversements multiformes, socio-historiques sans précédent et donc provoqué des dissonances brutales au sein de la population que ce documentaire existe. En s'attachant à suivre, au quotidien, médecins et malades à l'hôpital psychiatrique de Constantine, Aliénations tente de comprendre les mécanismes induits par ces changements et leur incidence sur le comportement humain, a fortiori lorsqu'on sait que les Algériens ont été ou sont confrontés continuellement à une crise aux divers aspects: religieux, politiques, économiques et familiaux. Le long métrage de 1 h 45 sorti le 15 décembre dernier dans les salles françaises, tente de cerner le malaise social dominant en Algérie. «A travers ce film, note le réalisateur, j'ai voulu percevoir les courants souterrains qui traversent la société algérienne et alimentent sa crise» et de souligner: «Evoquer aujourd'hui l'Algérie à travers le prisme de la souffrance mentale, c'est soulever en contrepoint des images médiatiques, les énormes problèmes de ce pays (et du Maghreb) en regard des bouleversements socioculturels et politiques, de la récession économique, du traumatisme des attentats et des massacres, de l'explosion démographique, de tensions et agressions psycho-sociales, de la crise identitaire... Autant de facteurs de risque pour l'équilibre mental de l'Algérien... Cette histoire à la fois personnelle et collective constitue la trame du film : mon père était professeur en psychiatrie à Constantine et également doyen de la psychiatrie algérienne. J'ai baigné dans cet univers. Depuis quelques années, de longs entretiens avec mon père m'ont renforcé dans mon désir de faire ce film.» Pour le producteur, Gérald Collas, ce film est une façon de prendre le pouls de la société. «Depuis 1962, et plus encore ces vingt dernières années, l'Algérie n'a cessé d'être travaillé par l'opposition tradition/modernité, valeurs religieuses/valeurs démocratiques comme par autant de séquelles ou de continuation de ce conflit entre deux cultures qui au-delà de la décolonisation se poursuit aujourd'hui dans le cadre de la mondialisation... Les troubles de la personnalité dont peuvent souffrir les individus ne sont bien sûr pas sans rapports avec les difficultés que rencontre le pays pour définir son identité collective et nationale. Les mentalités changent moins vite que l'économie». Pour preuve, nous sommes invités à nous rapporter à ce qu'écrivaient en décembre 1990, des psychiatres algériens: «Depuis l'indépendance, l'Algérie est soumise, surtout dans les grandes cités urbaines, à une acculturation intense et continue. Le démantèlement progressif de la société traditionnelle, la nucléarisation de la famille, l'émoussement des valeurs basées sur la cohésion et la solidarité communautaire, les profondes transformations socio-économiques et culturelles, avec en particulier l'exode des ruraux et leur afflux vers les villes, la néo-urbanisation massive et anarchique, l'industrialisation, un immense effort de scolarisation, la multiplicité des modèles nouveaux, souvent mal appréhendés et s'opposant parfois au schéma traditionnel, sont à l'origine des difficultés d'adaptation, de tensions et de conflits sur les plans individuel, familial et socioprofessionnel...». Réalisé avec la participation de la Télévision suisse Romande et du Centre national de la cinématographie, ce film intéressant à plus d'un titre, mérite d'être projeté dans nos salles, pour mettre enfin nos problèmes complexes et nos angoisses, face à nous-mêmes et les comprendre. Pourquoi pas...?