Ici, Ramadhan se vit presque normalement. On ne sait pas s'il y a une «normalité» pour vivre ce mois dont on a tellement dit qu'il était différent qu'on a fini par le croire, mais on sait que rien de vraiment extraordinaire ne change dans le quotidien. Ici, c'est un village sans illusion, encore moins de prétention. La montagne le cache au soleil et lui délivre, dans un échange injuste, un froid glacial dont rien ne le protège en dehors de la légendaire résistance physique. De ceux qu'il abrite en son sein. Ses espaces vivants n'ont rien changé aux habitudes. Ici on se voit «là où était la djemaâ» dont il ne reste que le souvenir. Ses dalles en roche ou en briques sommairement cimentées ont laissé place à l'élargissement d'un chemin traversant le village. On n'a pas songé à l'espacer au point de devenir carrossable, mais cela a été un argument suffisant pour des âmes particulièrement inspirées pour venir à bout d'un lieu de rencontre séculaire. Depuis, on se voit ici pour rester collé au souvenir et perpétuer la proximité. Rien n'a vraiment changé en ce mois. Comme en temps «normal», on vient ici une fois le soleil – quand il n'est pas caché par la montagne – est parti se coucher. Un moment d'échanges surannés ou de silence fatigué, un au revoir murmuré et mécanique. En temps normal ou pendant le ramadhan, ici, on n'a jamais grand-chose à se dire, mais on y vient quand même. De toute façon, on ne sortira pas avant le lendemain à la même heure, pour se séparer encore à l'heure de la prière. Un moment comme un autre. Qu'on aille rompre le jeûne ou attendre encore un peu avant de manger, ici, on rentre tôt à la maison. Quand on ne se voit pas «là où était la djemaâ, il reste encore l'épicerie du village contrainte par le fait accompli d'assumer une double vocation. Ce n'est pas toujours de gaité de cœur que le propriétaire accepte d'accueillir du monde, mais il a fini par se rendre à l'évidence : il en sera ainsi pendant encore un bon bout de temps. A ces heures de rigueur professionnelle, il rappelle aux siens qu'une épicerie, c'est fait pour le commerce et uniquement pour le commerce, personne ne l'écoute plus ses coups de gueule depuis longtemps. Le premier café est à deux kilomètres, et de la djemaâ, il ne reste qu'un vague souvenir. Et les souvenirs, ce n'est pas vraiment suffisant pour faire rencontrer des hommes. En temps normal ou pendant le ramadhan. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir