La prolifération des parkings anarchiques est un phénomène ancien qui ne cesse de prendre de l'ampleur. Pratiquement, tous les quartiers d'Alger ont leurs «gardiens» de parking, lesquels, parfois, se comportent comme les véritables propriétaires de la rue, n'hésitant pas à agresser violemment les automobilistes qui refusent de les payer. Durant ce mois de Ramadhan, les citoyens auront constaté une nouvelle tendance : les fidèles qui se rendent aux mosquées et alentour sont pris en otages par ces «gérants de parking», surtout pendant la prière des tarawih. La plupart des artères d'Alger sont prises d'assaut par certains jeunes qui s'autoproclament «gérants de parking», alors qu'ils ne détiennent aucun document ni autorisation des services de l'Etat. C'est un véritable racket qui se pratique au vu et au su de tout le monde. Les habitants d'Alger-Centre, de Bab El Oued, d'El Harrach ou de Bachdjarrah, pour ne citer que ceux-là, souffrent le martyre. Cette situation semble profiter aux jeunes chômeurs et parfois même à des adolescents qui s'en donnent à cœur joie pour se faire de l'argent de poche ou, comme ils aiment à le dire, une «msirfa». Lors de notre virée dans les grands quartiers d'Alger, pratiquement toutes les rues sont gangrénées par ce fléau. Plus qu'une occupation, le gardiennage des véhicules en stationnement est devenu pour de nombreux jeunes un véritable «métier» qui permet, on n'en doute pas, de confortables recettes quotidiennes. La plupart sont munis de matraques, de gourdins, d'armes et exhibent carrément des couteaux et autres objets contondants. Quelques-uns, sous l'effet des psychotropes, ne reculent devant rien pour soutirer quelques pièces aux automobilistes qui garent dans «leurs rues». Les propriétaires des voitures sont harcelés par ces pseudo-gardiens : «T'gari h'bibna ?», «nchoufoulek plaça», les mêmes expressions se répètent à chaque fois pour signifier aux automobilistes qu'ils n'ont pas le choix et doivent payer même pour un stationnement de quelques minutes. Les fidèles qui participent aux prières surérogatoires des tarawih sont obligés de payer leur place, à défaut de voir leur voiture cambriolée ou dénudée de quelques pièces. Parfois, c'est la roue qui est dégonflée quand ce n'est pas le pare-brise qui vole en éclats. Irrités, des citoyens rencontrés à Bab El Oued ne cachent pas leur désarroi face à cette situation. «C'est intolérable, non seulement on les trouve partout à longueur de journée, mais maintenant ils sont aussi devant les mosquées !», s'emporte un citoyen qui a eu une vive altercation avec deux jeunes qui lui exigeaient 30 DA pour le stationnement. Nous avons assisté aux mêmes scènes à El Harrach, à Bachdjarrah et dans d'autres quartiers populeux. C'est dire que ce phénomène tend à se généraliser à toute la capitale. «Tu paies, sinon…» Gare aux automobilistes qui refusent de payer la «dîme». Munis de bâtons, parfois dans des rues où le stationnement est interdit, ces pseudo-gardiens de voitures se font payer de force. Les tarifs appliqués par ces «nouveaux maîtres» ne sont pas inférieurs à 50 DA ! La plupart des gens rencontrés sur les lieux nous révèlent qu'ils n'ont pas d'autre choix que celui de payer, parfois même si la somme est exagérée, de crainte d'une réaction violente de la part de ces pseudo- gardiens. «Il m'est arrivé de payer 200 DA pour ne pas me faire massacrer par une bande de jeunes, au début du mois de Ramadhan, qui m'ont menacé avec avec une arme blanche lorsque j'ai essayé de leur tenir tête. Cette situation est inadmissible», nous confie un citoyen à Belcourt. Cette «activité» qui connaît un essor spectaculaire à travers la capitale et la plupart des villes du pays attire aussi bien les jeunes que les vieux. Rafik, un jeune de 16 ans, avoue qu'il a versé dans le «métier» après avoir été exclu du lycée. «Je n'ai pu trouver d'emploi ni une place dans un centre de formation professionnelle. En faisant le gardiennage, je rends service aux automobilistes, et je m'assure un revenu qui me permet à peine de vivre. Je refuse de voler ou de vendre de la drogue, comme le font de nombreux jeunes. Je suis sûr que mon activité est bénéfique pour la société. J'espère que les autorités interviendront pour mieux la contrôler», confie-t-il. Un autre cas retient notre attention, c'est celui de Rabah, retraité et père d'une famille de cinq enfants, à Bab Ezzouar. Après de longues années passées dans son entreprise, aujourd'hui dissoute, il s'est «reconverti» dans le gardiennage des véhicules avec l'aide de deux de ses enfants Hakim et Fouad. «Je n'avais plus le choix car au moment où j'ai pris ma retraite, je n'ai trouvé aucun boulot pour subvenir aux besoins de ma famille, sauf celui de m'occuper du gardiennage du parking de la cité», explique-t-il. Interrogé sur le fait de faire payer les gens qui viennent pour effectuer leur prière, il nous dira cela : «On est là pour surveiller les biens des gens. On ne fait pas d'exception, d'autant plus que les prières des tarawih qui attirent une foule nombreuse sont une occasion pour se faire plus d'argent.» Certains automobilistes considèrent que cette pratique traduit en réalité l'incivisme des Algérois. D'autres parlent de la démission totale de l'Etat qui laisse les citoyens livrés à eux-mêmes.