Ces hordes de racketteurs imposent leur diktat au grand jour, au su et au vu de tout le monde, sans que les responsables daignent bouger le petit doigt. Pratiquement dans toutes les rues et ruelles des grandes villes du pays, des bandes de jeunes gens font la loi aux automobilistes. «Vous avez stationné donc vous payez, on ne discute pas là-dessus», martèle un petit jeune, à l'adresse d'un quinquagénaire qui lui explique que son arrêt n'a duré que quelques instants, soit le temps d'acheter un journal du kiosque se trouvant à quelques mètres. Le gardien, une sacoche noire à la ceinture, ne veut rien comprendre et ne veut en aucun cas lâcher sa «proie.» Tout en regardant son acolyte qui discutait affablement avec une dame au volant, le gardien en sacoche noire s'adresse au vieux avec un ton qui se veut à la fois coopératif et menaçant: «Ammou, j'ai surveillé ta voiture des voleurs. Sans notre présence, tu ne pourras pas quitter ta bagnole une seconde». Cela avant d'enchaîner: «Tu m'aides avec 20 dinars et prends le temps que tu voudras sans t'inquiéter de quoi que ce soit. On est là pour ça». Ayant vraisemblablement compris l'allusion et face au chantage et au risque pesant sur sa vieille R19, l'automobiliste finit par mettre la main à la poche. De telles scènes sont tellement récurrentes qu'elles passent inaperçues, dans un quotidien riche en situations plus choquantes. Chômage et gourdins Pourtant, à bien observer les faits de cette scène qui s'est déroulée à quelques encablures de la Grande poste, on se rendra compte qu'il s'agit bel et bien de racket. Sans badge ni uniforme et sans fournir la moindre preuve de son soi-disant statut de gardien, un homme se pointe devant un autre et le somme, en usant de la menace, de payer les droits de stationnement dans un lieu public squatté et mis en exploitation dans le mépris total des lois et réglementations en vigueur. Les faits sont parfois plus graves. Il n'est pas rare de voir ces pseudo-gardiens armés de gourdins, tabassant un automobiliste indocile. Ce qui complique la situation, nous explique Bachir, un chauffeur travaillant dans une agence de publicité, c'est qu' «à chaque fois, qu'ils (les gardiens) ont affaire à un récalcitrant, ils agissent en concert et utilisent tous les moyens pour se faire respecter». Ils se sont arrogé le droit de «prélever des impôts», poursuit notre interlocuteur, dont le métier consiste à sillonner quotidiennement les rues de la capitale et de s'arrêter dans divers endroits pour déposer ou récupérer ses collègues prospecteurs. Bachir a avoué qu'il lui arrive de débourser jusqu'à 200 dinars par jour comme frais de stationnement, mais cela vaut mille fois mieux que des coups de gourdin. Ces hordes de racketteurs imposent leur diktat au grand jour, au su et au vu de tout le monde sans que les responsables daignent bouger le petit doigt pour mettre fin à ces pratiques illégales. Du côté des exploitants des parkings informels, les choses ne se présentent pas, sous le même aspect. Parlant des gourdins, Farid, un gardien de parking à Bab El-Oued, assure avec un air sérieux, que cette arme blanche lui est «indispensable pour dissuader les voleurs qui pullulent dans les parages». Notre interlocuteur n'a pas voulu accepter le fait que le bâton sert beaucoup plus à convaincre les plus réticents des automobilistes à payer sans rechigner les 20 dinars réclamés. Il soutient, au contraire qu'«ils (ses clients) nous connaissent moi et mes deux autres associés et je n'ai jamais eu de problèmes avec eux. Quand quelqu'un ne veut pas payer, ce qui arrive rarement, on le laisse partir». Farid révèle en avoir assez de ce métier qu'il exerce par contrainte après avoir «calé les murs pendant plus de 4 années». Le chômage et la mal-vie reviennent incessamment dans les propos de tous les exploitants de parkings que nous avons contactés et dont certains sont des pères de famille. La pauvreté, le chômage et les insuffisances criantes en espaces de stationnement organisés (parking légal) sont à l'origine de la prolifération de ces parkings sauvages. De fait, un jeune sans emploi n'a qu' à trouver un endroit où il n'y a pas de parking légal ou illégal pour s'improviser gardien ou «gareur». On aide les automobilistes à garer leur véhicule, on les surveille scrupuleusement moyennant 20 dinars ou un peu plus. Il faudra aussi que le gardien et le plus souvent, un petit groupe de «gareurs» fassent preuve de beaucoup de ténacité pour défendre son territoire des autres jeunes qui viendront éventuellement, exploiter les lieux. Ceci, en plus de la fermeté qu'il faut afficher à l'égard des automobilistes «radins», pour bien les persuader de payer le droit de stationnement. A Ben Aknoun tout près de la Fac de droit, Fayçal, un natif de Chéraga, a tout simplement squatté le trottoir. Profitant de l'inexistence d'un parking et surtout, du flux impressionnant de parents et proches qui viennent véhiculés récupérer les leurs, Fayçal a eu la fameuse idée de guider les automobilistes avec enthousiasme, à monter sur l' espace réservé aux piétons et de garer leurs voitures. Discret et visiblement exaspéré par nos questions portant sur la rentabilité de son métier, notre ami a bien voulu nous orienter: «Cherchez du côté des voleurs de milliards et laissez les jeunes gagner leur pain». Des comportements de même nature sont perceptibles dans toutes les grandes villes, plus particulièrement au niveau de la capitale où stationner sa voiture n'est pas une mince affaire, mais bien au contraire, une véritable hantise. Un problème qui devient de plus en plus compliqué au fur et à mesure que le parc automobile s'amplifie. Par ailleurs, un autre phénomène est à relever: dans les quartiers populaires, ces pseudo-gardiens prennent même des abonnements mensuels forfaitaires, pouvant aller jusqu'à 600 dinars. Pour mettre fin à cette anarchie, le ministère de l'Intérieur a finalement décidé de réagir en lançant un projet pilote de réorganisation des espaces de stationnement et de l'activité de surveillance au niveau de la capitale. Un mode de gestion qui sera généralisé par la suite, au reste des wilayas du pays, si les résultats donnent satisfaction à ses concepteurs. Une circulaire portant mesures d'encadrement des activités de surveillance des parkings de voitures élaboré dans ce sens, a été adressée aux collectivités locales de la wilaya d'Alger. Instruites depuis plus de 8 mois, les Apc ont procédé à l'installation de commissions chargées du recensement des parkings illégaux et des gardiens qui les exploitent présentement. Selon M.Rebia, élu à l'Apc d'Alger-Centre, la circulaire ministérielle prévoit de confier la gestion des espaces de stationnement à des coopératives de jeunes regroupant au moins cinq individus. Le concept du projet pilote ne concerne pas uniquement la capitale par rapport à l'ensemble de pays, puisque même au niveau de chaque commune algéroise, une ou deux coopératives seront lancées à titre expérimental avant leur extension. Les responsables de la commune d'Alger-centre ont lancé deux coopératives pilotes: un parking au chemin Sfindja, près de l'ambassade d'Allema-gne et le second à la rue Tanger. Les deux projets attendent l'approbation des services de la wilaya d'Alger pour lancer cette opération. Il est utile de souligner, quant à ce point, que les gardiens que nous avons approchés ont tous affirmé ne rien savoir de ce projet de coopératives. Cela en exprimant leur inquiétude de voir «leur gagne-pain» remis à d'autres personnes. Parlant du contenu de ce nouveau mode de gestion, le secrétaire général de la même commune nous a fait savoir que, selon la circulaire ministérielle, les coopératives devraient payer 10% de leurs recettes au trésor communal qui se chargera de la délivrance des tickets à donner aux automobilistes en guise d'assurance. Un moyen, explique le fonctionnaire, qui permettra également aux autorités communales de situer avec précision, les recettes de ces espaces de stationnement. S'agissant des critères à prendre en compte dans la mise en place des coopératives, le même responsable a indiqué que leurs membres seront choisis parmi les résidants de la commune qui justifient d'une expérience dans l'exercice de cette activité. La fin de la pagaille? Une manière de dire que ces espaces de stationnement seront confiés à leurs anciens exploitants. Au sujet des procédures, le secrétaire général a expliqué que la création desdites coopératives se fait à base d'un acte notarié authentifié qui sera transmis avec le dossier complet au wali délégué qui aura à se prononcer sur l'octroi de l'arrêté d'attribution. Une procédure, poursuit-il, qui ne doit pas dépasser, en principe, une période de 10 jours. Un problème d'ordre juridique a été soulevé par le fonctionnaire qui a estimé l'exigence de 5 personnes au minimum, pour la création d'une coopérative comme un obstacle. Les notaires s'inspirent de la loi sur les coopératives agricoles en raison, pense-t-il, de l'absence de textes appropriés à la réglementation de cette nouvelle activité. Soulignons enfin que l'homologation de cette activité contribuera à l'accroissement des recettes des collectivités locales qui percevront les droits d'exploitation de ces espaces urbains. Plus important encore, l'encadrement de cette activité devra endiguer les diverses atteintes aux personnes et aux biens et autres formes de dépassement et violation des lois de la République. Cela, en plus de la facilitation de l'insertion de ces jeunes qui, chômage oblige, se sont improvisés gardiens de parking. Il est regrettable cependant, de voir un projet conçu spécialement pour résoudre un problème aussi urgent, avancer à pas de tortue en raison de la multiplicité des barrières bureaucratiques. Les citoyens attendent impatiemment la fin du diktat de ces bandes de racketteurs armés de gourdins qui veulent, pour leur part, exercer dans la légalité.