Hillary Clinton, la secrétaire d'Etat américaine, a-t-elle été bien inspirée de se rendre, hier, à Islamabad, la capitale pakistanaise ? Pour sa première visite officielle dans ce pays – le plus important allié de Washington dans la lutte contre le terrorisme dans cette zone de conflits où El Quaïda dispose de nombreuses bases – la secrétaire d'Etat américaine a déjà eu droit à un baroud d'honneur. En effet, son arrivée à Islamabad a été accueillie par un terrible attentat à la voiture piégée qui a fait plus d'une quarantaine de morts et plusieurs blessés, dans un marché bondé de Peshawar, la grande ville du nord-ouest du Pakistan. Le Pakistan, qui reste pour les Etats-nis une des pièces maîtresses les plus importantes dans sa lutte contre le terrorisme international, connaît ces derniers mois un regain de violence, particulièrement depuis les offensives de l'armée pakistanaise pour déloger les talibans des zones tribales. 200 morts pour le seul mois d'octobre. Tel est le triste bilan des attentats qui ont endeuillé le Pakistan ces dernières semaines. Ces attentats, revendiqués pour la plupart par le Mouvement des talibans du Pakistan – Tehrik-e-taliban (TTP) – sont-ils une réponse au deal réalisé par Washington et Islamabad en vue de combattre par tous les moyens les talibans ? L'engagement pakistanais, nouvelle stratégie US Washington estime en tout cas que la solution au terrorisme réside au Pakistan et met les bouchées doubles pour parvenir à des résultats. Quoique le Congrès américain ait déjà voté d'importantes enveloppes budgétaires sous forme d'aides diverses au Pakistan ; ce dernier tergiverse quelquefois pour mener à bien la mission pour laquelle il est «payé». C'est qu'au Pakistan, les choses ne sont pas si faciles et la guerre que veulent mener dans cette région d'Asie les américains n'a rien à voir avec celle qui a été lancée en Irak. Ici, les choses sont différentes. Outre la configuration du terrain qui ne facilite pas les choses, l'aspect culturel et le mode de vie des populations souvent régi par des coutumes tribales accentuent les difficultés. Les fameuses zones tribales qui chevauchent le Pakistan et l'Afghanistan sont le fief incontesté des talibans qui en ont fait leur base arrière. Elles assurent à El Quaïda une logistique que même les drones israéliens envoyés à la rescousse par le Pentagone n'ont pas pu ébranler. Certes il y a eu des centaines de morts mais dans les populations civiles. Cela a eu pour résultat surtout de renforcer le sentiment de haine de ces populations contre les alliés occidentaux. Il ne faut pas oublier que les populations locales ont toutes, à des degrés divers, des attaches avec les talibans dont la majorité sont issus des tribus pachtounes. Un imbroglio difficile à démêler Dans cet imbroglio que les meilleurs stratèges US n'ont pas encore réussi à comprendre et encore moins à démêler, il y a aussi le fait que depuis très longtemps, pour des raisons d'intérêts, voire d'affinités, les services secrets pakistanais ont travaillé la main dans la main avec les chefs de tribus et les talibans, notamment afghans. Ce deal, longtemps raison d'être, et véritable accord entre certains clans du pouvoir et les insurgés islamistes fait partie des traditionnelles tractations propres à ce pays qui est lui-même confronté à son voisin proche l'Inde à cause de la question du Cachemire. D'ailleurs cette région est toujours une base arrière pour des insurgés quelquefois appelés à la rescousse par les talibans en fonction de la conjoncture et des intérêts des uns et des autres parties en conflit. L'autre voisin, l'Afghanistan, où l'élection présidentielle est promise désormais à un deuxième tour, connaît aussi une vague d'attentats meurtriers. Malgré les promesses du président sortant Hamid Karzaï, les talibans restent puissants en Afghanistan et, Washington, qui semble vouloir changer de stratégie à leur égard, a déjà pratiquement lâché son ancien allié. Pour tout dire, les américains qui ne cessent d'avoir des revers terribles sur ce front, malgré leurs alliés occidentaux, essaient de s'y désengager. Trente mille soldats pakistanais engagés au sud Waziristân Raison pour laquelle le Pakistan s'impose désormais comme principal allié de Washington dans la région, particulièrement depuis que Musharaff a été «évincé». Ainsi, cette énième offensive terrestre et aérienne au Sud Waziristân, dans laquelle le Pakistan a engagé quelques trente mille soldats pour tenter d'y déloger les talibans de Hakimullah Mehsud, le frère du dirigeant des TTP – Beïtullah Mehsud assassiné au mois d'août dernier – et dont il a repris la charge. De leur côté, les moudjahidine afghans de Haqqani, dont lui-même et quelques «anciens» compagnons ont combattu entre 1978 et 1989 les soldats de l'Armée rouge avec le soutien de l'Amérique et que le Mollah Omar avait regroupés, continuent d'occuper une base arrière dans le nord Waziristân au Pakistan. C'est à partir de là qu'ils lancent leurs attaques contre le régime de Kaboul et de ses alliés occidentaux. Ces moudjahidine, dont des accords assez tordus avec l'ISI, l'armée secrète pakistanaise, posent problème, ne sont pas actuellement la priorité de washington car les offensives menées contre eux en territoire pakistanais ont surtout eu pour résultats de tuer des civils innocents et de mettre à mal le gouvernement d'Islamabad. Un contexte difficile où le dollar n'est pas la solution C'est dans un tel contexte qu'Hillary Clinton se rend au Pakistan. Dans ses bagages, la dame de fer américaine emporte quand même un argument de poids sonnant et trébuchant : un plan quinquennal d'aide américaine de 7,5 milliards de dollars. Le prix à payer pour l'Amérique pour amener Islamabad à aller au feu est trois fois plus important que celui alloué précédemment par washington. Ce cadeau qu'Hillary Clinton sortira de son chapeau pourra-t-il faire oublier les sacrifices imposés aux peuples de la région ? Sachant que l'armée pakistanaise a déjà perdu 1300 soldats au cours des opérations militaires depuis 2002, contre les islamistes dans le nord-ouest, y compris dans les zones tribales. Et que depuis l'été 2007, les attentats revendiqués ou attribués à des groupes islamistes ont déjà fait plus de 1300 morts à travers le pays ? Et que les corps des 43 victimes d'hier à Peshawar sont encore chauds ? En fait, pour les USA, tout est toujours, une question de chiffres…