ça fait quand même un drôle d'effet de rencontrer des Algériens le visage fourré derrière des masques de protection contre le virus de la grippe porcine. Ils ne sont certes pas nombreux, mais ils sont quand même visibles. C'est qu'il est difficile de faire dans la discrétion, avec une bavette blanche au milieu de gens «normaux». Ils ne sont pas nombreux et pourtant ils attirent l'attention quand ils ne suscitent pas quelques commentaires qui vont du sarcasme à l'envie. Et pourquoi donc ? D'abord parce que pendant longtemps, on croyait que cet accoutrement était l'apanage de sociétés vouées à Satan et rongées par le vice. Convaincus que les épidémies de maladies bizarres et parfois honteuses ne pouvaient atteindre que les contrées de l'abondance souvent greffée à la déchéance morale. Sinon aux pays pauvres qu'on prend soin d'évoquer avec un savant dosage de mauvaise foi et de mauvaise conscience. Comme nous ne sommes ni riches ni pauvres, nous savourions notre abri factice en regardant les images qui nous venaient d'ailleurs. Qu'on écarquille les yeux sur de prospères Européens au visage dissimulé, poussant un chariot débordant de victuaille dans un hypermarché ou qu'on fasse semblant de s'émouvoir à la vue d'enfants noirs au ventre ballonné et aux membres rachitiques, le sentiment n'est peut-être pas tout à fait le même mais il procède du même état d'esprit. Il nous arrive d'avoir d'autres ambitions mais il suffisait parfois d'un gros plan pour mesurer notre bonheur d'être dans un juste milieu si rassurant et surtout si commode. Piètre consolation ? Voyons… Nous avons échappé à la grippe aviaire, nous cachons brillamment nos malades du sida et nous n'avons jamais vu Bernard Kouchner un sac de riz sur l'épaule dans un village de Aïn Sefra. Mais voilà, nous avons la grippe porcine. Comme tout le monde ? Pas vraiment, puisque nous sommes rares à avoir le virus sans le porc qui va avec. Et pour «compenser», tenter – une fois n'est pas coutume – de faire comme les autres, nous nous essayons donc au masque. Pas très disponible, cher et incommodant, mais il a ses adeptes. On en rencontre dans les rues d'Alger, de ces vaillants pionniers. En attendant le vaccin qui va arriver on ne sait pas quand, ils se protègent comme ils peuvent en relevant d'un cran la psychose. Parce que les psychoses, ça nous connaît. Trois pèlerins fiévreux ont ébranlé notre posture de juste milieu, système de défense pourtant infaillible. Avec des femmes et des hommes masqués bavettés à chaque coin de rue, ça va être carrément la débandade. Allons donc voir la télé pour retrouver le nid douillet de nos certitudes. Mais ces jours-ci, c'est joué de malchance : les Européens rongés par l'abondance et le vice refusent de se faire vacciner et les Africains affamés sont désertés par les caméras toutes occupées à Copenhague. Respirez, il n'y a rien à craindre. Le virus H1N1 comme les gaz à effet de serre c'est toujours l'affaire des riches. Et nous sommes au milieu, n'est-ce pas ? Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir