La démarche infructueuse de M. Moratinos, lundi à Washington, pour demander à son homologue américaine Hillary Clinton «plus de pressions sur le Maroc» afin que Aminatou Haider puisse rentrer chez elle, a mis, soudainement, le gouvernement espagnol devant ses responsabilités qu'il semblait fuir jusque-là. La fin de non recevoir opposée par la Secrétaire d'Etat américaine à cette demande au moment où les Etats-Unis ont d'autres soucis en tête, dont le problème de l'Afghanistan, a secoué quelque peu la classe politique espagnole, à sa tête le parti socialiste. La réponse américaine, ou la non-réponse, rappelle le message que les Nations unies et l'Union européenne ont déjà adressé au président Zapatero pour l'amener à voir le problème auquel il est confronté comme il se pose : un problème bilatéral entre Rabat et Madrid. La solution se trouve à Madrid L'absence de motivation des partenaires à l'étranger à s'impliquer dans cette affaire a fait comprendre aux socialistes que la solution se trouve à Madrid et nulle part ailleurs. C'est ce qui a conduit, hier, d'urgence le Congrès des députés à envisager une initiative dans ce sens en adoptant une motion demandant au gouvernement d'agir «au plus haut niveau» auprès de Rabat, c'est-à-dire au niveau même du roi Juan Carlos dont les liens avec le palais royal marocain sont très cordiaux. Jusque-là, le président Zapatero s'était opposé à une implication du roi par souci de lui éviter une humiliante «sourde oreille» du monarque marocain. N'ayant plus le choix de ses moyens au plan international, Zapatero finira-t-il par opter pour cette voie ? Ce n'est pas évident dans la mesure où le parti socialiste au pouvoir, auteur du projet de motion, laisse encore entendre, à la différence des autres formations politiques, que ce sera plutôt au gouvernement d'intervenir auprès de Rabat et non au roi Juan Carlos, bien que le Palais royal ait montré sa disponibilité à agir dans ce sens si la demande lui est faite par l'exécutif central. L'importance de cette motion, outre qu'elle appelle, selon la lecture politique que font la plupart des partis, à l'implication personnelle du roi Juan Carlos, apparaît dans sa prise en charge du problème de fond que soulève le cas de Mme Haider qui était hier à son 32e jour de grève de la faim : le problème global du Sahara occidental occupé depuis 1975 par le Maroc. Dans sa première version, le projet de motion socialiste le mentionnait comme exclusivement «humanitaire», pour éviter d'éventuelles frictions avec Rabat. Il a fallu que le Parti Nationaliste Basque (PNV), avec le soutien des formations nationalistes et de gauche, mette la pression sur le parti au pouvoir pour que cette motion revête un aspect éminemment politique dans la mesure où elle fait ressortir explicitement «le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui». Les instruments de pression espagnols Esseulé au plan international, isolé au plan interne, le PSOE a cédé en acceptant cette disposition qui ne manquera pas d'irriter Rabat plus qu'à le décider de fléchir sa position. Le document adopté valorise «le libre exercice du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui sur la base d'un référendum». En plus, le Congrès des députés espagnol a appelé à «l'élargissement du mandat de la Minurso à la question des droits de l'homme au Sahara occidental» et demandé aux Nations unies d'intervenir auprès du Maroc pour trouver une solution au problème de Mme Haider. Cette dernière initiative n'a aucune chance d'aboutir. Par contre, comme l'ont laissé entendre des spécialistes du Maghreb, le gouvernement espagnol a plus de chance de réussir s'il compte sur ses propres moyens pour résoudre le «cas Haider», surtout, comme l'écrivait El Pais, «après la douche froide reçue par M. Moratinos à Washington». L'Espagne a plus d'un argument à faire valoir face au Maroc. Son plus redoutable instrument de pression qui peut, en effet, faire réfléchir le roi Mohamed VI, c'est le poids que prendra l'Espagne en assurant la présidence semestrielle de l'Union européenne qu'elle assurera à partir du 1er janvier prochain. Avec un peu plus de volonté politique de faire pression sur son meilleur allié au Maghreb, Madrid pourrait faire traîner le processus de mise en œuvre du statut avancé concédé par l'UE à Rabat. Zapatero peut également annuler le sommet UE-Maroc prévu au printemps prochain sous la présidence semestrielle espagnole de l'UE qu'il a lui-même programmé. «Un coup dur» pour le Maroc Selon El Pais, «pour les Nations unies, l'Espagne demeure toujours la puissance administrant le territoire sahraoui, même si elle n'exerce pas de souveraineté sur le territoire sahraoui occupé militairement par le Maroc. Pour des spécialistes de la question sahraouie, il est juridiquement fondé pour l'Espagne qui est à ce jour encore titulaire de la souveraineté sur le Sahara occidental que les Nations unies lui ont confiée depuis 1958, de demander à l'ONU un rapport sur les compétences en vertu desquelles le Maroc s'est autorisé à expulser Mme Haider de l'ancienne colonie espagnole. Les nombreux observateurs pensent enfin que l'Espagne et le Maroc sont sur le chemin d'une crise diplomatique qui ne tournera pas à l'avantage de Rabat si le régime marocain campait sur ses positions dans l'«affaire Haider». Ce sera «un coup des plus durs pour le royaume alaouite» si l'Espagne se décidait à user des instruments de pression entre ses mains, fait observer El Pais, journal proche du gouvernement socialiste de Zapatero.