La France a multiplié, ces derniers jours, ses «discrètes» démarches auprès du gouvernement malien en vue de négocier avec Bamako la contrepartie exigée par Al Qaïda pour le Maghreb islamique (AQMI) pour la libération de l´otage français Pierre Camatte qu´elle détient depuis quelques mois dans le nord du Mali. Madrid et Rome ont fait de même, par des voies aussi impénétrables que celles du Seigneur. L´argument douteux de la «discrétion» Rien de plus normal, peut-on rétorquer, dans ces capitales qui passent pour les maîtres à donner des leçons en matière de respect des engagements internationaux, qu´un Etat se soucie de la vie de l´un de ses ressortissants aux mains d´une organisation terroriste aussi féroce que AQMI. Le tout est de savoir, cependant, dans quelles conditions et à quel prix. Interrogé lundi par la presse sur le processus de médiation en cours en vue de la libération des trois Espagnols pris en otages, le 28 novembre dernier, par Al Qaïda pour le Maghreb islamique, le ministre des Affaires étrangères, Moratinos, a préféré «garder le silence», tout comme ses collègues français et italien. Il a su trouver l´argument qui peut justifier, certes, que toute déclaration à ce sujet «renforcerait la stratégie des ravisseurs», selon son opinion, mais qui, bien entendu, fait l´impasse sur les méthodes obscures utilisées par les pays occidentaux pour obtenir la libération de leurs ressortissants. . La discrétion observée par les gouvernements des pays d´origine des otages occidentaux peut également se comprendre si le souci est, bien entendu, de ne pas compromettre la vie des personnes séquestrées. Le doute s´installe cependant lorsque les voies empruntées et les solutions suggérées contrarient les principes claironnés, les engagements pris et la sécurité des pays tiers comme le Mali, pays où sont détenus les otages, et l´Algérie qui occupe les premières lignes du front international de la lutte antiterroriste. Les pressions voilées sur Bamako Successivement, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner et le secrétaire général de l´Elysée se sont rendus, dans la plus grande discrétion, dans la capitale malienne pour demander au président Ahmadou Touré de libérer le groupe de terroristes islamistes, dont certains sont des Algériens poursuivis par la justice de leur pays d´origine pour crimes terroristes. L´objectif de la diplomatie française auprès d´un pays du Sahel aux ressources économiques plus que dérisoires, confronté de surcroît à la menace permanente du terrorisme d´Al Qaïda, prend nettement ici l´aspect d´une pression qui ne dit pas son nom. La réponse du gouvernement malien a été diplomatique mais ferme : pas question de bafouer les principes auxquels Bamako a souscrit au plan international en matière de lutte contre le terrorisme. Quelle sera la réaction de Paris, si comme il semble évident que ce soit le cas, Bamako entend s´acquitter de ses obligations internationales ? On le saura plus tard. Le constat est évident. Certains pays occidentaux ne respectent pas les règles de conduite qu´ils ont eux-mêmes fixées, à un moment, il faut bien le souligner, où le terrorisme était encore une affaire lointaine, au-delà de leurs frontières. En demandant au Mali de libérer les terroristes qu´il détient, le gouvernement français n´ignore certainement pas ce que sa démarche peut engendrer comme préjudice à la sécurité des populations des Etats confrontés au terrorisme dont le Mali et l´Algérie. Paris n´ignore pas non plus que la solution qu´elle préconise met en péril tout le consensus difficilement obtenu, à l´échelle internationale, de ne pas céder aux exigences des terroristes. Certaines sources informées à Bamako assurent que l´Elysée a proposé le paiement d´une rançon assez consistante, que les terroristes ont refusée, réservant cette condition à l´Espagne. La chaîne des intermédiaires Dans une récente interview au quotidien espagnol El Pais, le président Amadou Toumani Touré assure que son gouvernement «n´a aucun contact direct avec les ravisseurs» mais qu´il passe par «de nombreux intermédiaires» pour le paiement des rançons. «J´ai accepté, dit-il, cette proposition par amitié pour l´Espagne et pour des raisons humanitaires, bien que cet enlèvement se soit produit sur le territoire d´un pays voisin» (la Mauritanie). Il est possible, affirme le président malien, en des termes très mesurés «que l´argent (des rançons) transite à travers d´autres pays et par les mains d´autres personnes. Pour notre part, nous n´avons jamais remis de mallette pour le compte des autres. Agir ainsi équivaudrait à donner les moyens aux terroristes qu´ils utiliseront contre nous». Le prix que Paris, Madrid ou Rome sont prêts à payer pèsera sans doute lourd dans la poursuite ou non de la collaboration internationale contre le terrorisme. Certains gouvernements européens avec lesquels l´Algérie a collaboré en toute sincérité pour définir le cadre légal et moral dans lequel doit être menée l´action antiterroriste – dans le groupe des «5+5» entre autres – ont, selon Alger, violé la règle du jeu. Berlin a payé, en 2003, plusieurs millions d´euros pour obtenir la libération de 14 des 30 otages enlevés dans le sud algérien par Al Qaïda avant d´être transférés vers le nord du Mali. Les 15 autres, il faut le rappeler, avaient été héroïquement libérés par une unité de l´ANP au prix de la mort de deux soldats algériens. Les groupes terroristes qui se sont implantés sur cette «terre de personne» ont depuis ouvert une «route» pour le trafic d´armes à destination du nord de l´Algérie. Avec l´argent des Allemands et des Autrichiens que viendront renflouer les millions d´euros que Madrid a accepté de payer, directement ou indirectement. Les formules ne manquent pas. Les limites des engagements pris A ce jour, le gouvernement espagnol affirme sans convaincre personne qu´il ne versera pas un euro pour obtenir la libération des trois otages espagnols. Une position dans la forme qui se défend mais qui, en réalité, cache un jeu aussi trouble que celui auquel se livre, en ce moment, le gouvernement français. Des sources informées soutiennent que le gouvernement espagnol ne paiera pas directement de son budget la rançon exigée par Aqmi. D´autres sources financières (lesquelles ?) s´en chargeront. En fin de parcours, la médiation activée par Madrid a toutes les chances d´aboutir parce qu´elle ne dépend que de sa générosité. Celle de la France paraît plus compliquée dans la mesure où le gouvernement malien résiste aux pressions de l´Elysée. A moins que l´ancienne puissance coloniale comme tout le laisse supposer cette situation d´urgence marquée, de surcroît, par les élections régionales en France, n´use de ses grands moyens pour faire fléchir la position de principe du gouvernement de l´un des pays les pauvres de la planète. Décidément, le respect des engagements des Etats de droit des démocraties au-dessus de tout soupçon s´arrête là où commence la sécurité de leurs seuls ressortissants.