Toutes les «sources» officielles maliennes ou de presse à Bamako étaient unanimes à conclure, hier matin, que toutes les conditions sont réunies pour la libération imminente de l'otage français Pierre Camette, enlevé le 24 septembre au Mali par Al Qaïda pour le Maghreb islamique (AQMI). Ces mêmes conditions l'étaient aussi pour les trois Espagnols emprisonnés depuis le 28 novembre dernier en territoire mauritanien. Quelques heures plus tard, on apprenait que le Mali avait libéré les quatre terroristes appartenant à cette organisation terroriste. La visite discrète de Kouchner à Bamako Les contacts de Paris avec l'organisation terroriste seraient entrés dans «leur phase finale» après le 14 décembre dernier, date du déplacement dans la plus grande discrétion à Bamako du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et du secrétaire général de l'Elysée. Les deux émissaires français auraient, apparemment, réussi à convaincre le gouvernement malien d'accéder à la demande de remise en liberté des quatre terroristes d'AQMI, dont des Algériens, condition posée par cette organisation terroriste à la libération de l'otage français. Bamako avait affiché, une première fois, publiquement même, son refus d'accéder à cette initiative, qui équivaudrait à lui demander, selon l'expression d'un membre de son gouvernement, à retourner ses armes contre elle-même, Paris a alors décidé de mettre la pression sur le pays le plus pauvre de la planète, et le paquet aussi, à la veille de l'expiration de l'ultimatum fixé par le groupe terroriste au 20 février. L'intention des terroristes est doublement satisfaite : faire monter les enchères financières, leur priorité, afin d'assurer la source de financement pour le trafic d'armes à destination de l'Algérie et obtenir la libération de leurs emprisonnés au Mali. Accord Paris-Madrid avec AQMI La nouvelle de l'accord entre AQMI et Paris-Madrid qui a commencé à se préciser dès la semaine dernière dans la capitale malienne où règne une atmosphère de soulagement dans les cercles officiels et diplomatiques, à la différence de l'ambassade d'Espagne où la «discrétion» est de rigueur, a commencé à se confirmer ce week-end. La libération du Français et des trois Catalans est une certitude et elle serait «imminente», selon toutes les «sources» qui suivent de près cette affaire. La certitude aussi est celle que la France et l'Espagne ont bien accepté de payer. Le gouvernement espagnol, on le sait avec certitude, a accepté de verser les 5 millions de dollars au titre de la rançon exigée par l'organisation terroriste AQMI. On saura plus tard quel sera le prix que la France a payé, outre les pressions sur le Mali. L'opération a eu lieu, comme l'avait laissé entendre, voilà deux semaines environ, le président malien Amadou Touman, à travers un pays tiers. Ce pays c'est la Libye dont la Fondation Kadhafi a été sollicitée par le gouvernement espagnol de verser à sa place le montant de la rançon que l'Espagne remboursera ou compensera par la suite à Tripoli. Cette somme est déjà sur la table à Bamako, ont indiqué des «sources» informées citées hier matin (lundi) par le journal catalan El Periodico. Les déclarations hier du président malien confirment, implicitement, le soulagement qui a gagné les milieux officiels à Bamako. «Nous avons des raisons de croire que la bonne nouvelle ne va pas tarder», a-t-il assuré publiquement. La «bonne nouvelle» c'est, dans l'esprit du président Ahmadou Touré, la libération en priorité du Français Pierre Camette. Celle des Espagnols puis de l'Italien suivront. La libération «imminente» des otages était alors dans l'air à Bamako. Les intermédiaires dans ces négociations, des chefs de tribus targuis maliens avaient affirmé depuis que la libération de l'otage français «est plus proche que jamais». D'autres «sources», proches de ces intermédiaires, ont tenu, toutefois, à «tempérer» tout optimisme en ce qui concerne la libération des autres otages, les trois Espagnols et l'Italien, qui n'interviendrait pas, selon eux, «avant celle du Français qui serait imminente». Ces notables intermédiaires targuis avaient multiplié depuis leurs va-et-vient au palais présidentiel où ils sont reçus, à chaque fois, par le président Amadou Toumané Touré. La dernière rencontre avec le Président remonte au début de la semaine pour, dit-on dans ce milieu, «mettre la main aux derniers arrangements» des ultimes contacts avec les terroristes. Ces contacts étaient, en fait, purement techniques sur l'acheminement des rançons, le principe étant déjà acquis depuis la venue de Kouchner à Bamako. Le ministre des Affaires étrangères français avait obtenu d'AQMI - par le biais des intermédiaires - de renoncer à la menace d'exécuter le ressortissant français. Pour faciliter les opérations, le président malien a ordonné un cessez-le-feu provisoire aux troupes engagées dans la lutte contre le terrorisme dans le nord du pays. D'ailleurs, depuis le 25 septembre, date de l'enlèvement de Pierre Camatte, après démarche de Matignon, plus aucune opération militaire n'avait été engagée dans cette région, pour ne pas mettre en péril la vie du ressortissant français. Le gouvernement espagnol effectuera la même démarche auprès de Bamako, à la suite du transfert vers le nord du Mali des trois Espagnols enlevés en territoire mauritanien. Silence prudent à Madrid et Paris Le silence des officiels à Madrid et à Paris ou à Rome se justifiait quelque part et en disait plus qu'il n'en fallait de déclarations. Depuis Bruxelles, hier matin, M. Moratinos, d'ordinaire très coopératif avec les médias, a observé sur l'affaire des otages un silence qui a renforcé la conviction des journalistes, que Madrid et Paris ont déjà payé. Aux journalistes qui lui demandaient de confirmer ou de démentir les informations insistantes sur le versement par l'Espagne de 5 millions de dollars à AQMI, il a eu cette réponse qui vaut confirmation implicite : «Le gouvernement continue d'œuvrer à la libération (des otages) et ne veut pas commenter cette information», avant d'inviter la presse à «plus de discipline, de discrétion et de patience». Devant Mourad Medelci, lors de la visite de travail du président Bouteflika, le 7 janvier dernier, ce même Moratinos avait déclaré avec assurance à la presse que l'Espagne ne versera pas de rançon au terrorisme. Il ne fallait surtout pas le prendre au mot, puisque c'est une partie tierce qui le fera à la place de l'Espagne. En termes diplomatiques, Madrid ne se déjugera pas. Paris non plus qui a dû prendre pas mal de précautions pour montrer patte blanche plus tard, lorsque l'affaire des négociations entre Paris et AQMI sur la libération des 4 terroristes sera du domaine public. L'ex-espion anglais «L'Espagne nous a priés dès le début de ne rien entreprendre au plan militaire pour ne pas faire échouer les négociations», a déclaré récemment à la presse étrangère le colonel malien Mohamed Ali. Le gouvernement espagnol préparait déjà le terrain au versement de la rançon, sans le reconnaître officiellement, bien sûr. Il avait déjà acquis une certaine expérience dans ce domaine avec l'affaire de «l'Alakrama», du nom du chalutier pris en otage, quelques mois auparavant, par les pirates somaliens avec 36 pêcheurs dont 16 de nationalité espagnole. Ces otages sont libérés 47 jours après paiement d'une rançon sur laquelle le gouvernement espagnol gardera le silence. Jusqu'à dimanche, lorsqu'un ex-espion britannique a affirmé avoir versé cash 2,7 millions d'euros aux pirates, le 17 novembre dernier. Trop prudent, le gouvernement espagnol, dont les services secrets (le CNI) ont mené de bout en bout les négociations avec les pirates, nie avoir payé. Selon l'espion britannique, ses collègues espagnols lui ont remis le montant de la rançon qui aurait été payée par le patron du chalutier l'Alakrama. C'est exactement ce scénario qui a été mis en scène au Mali pour le paiement des rançons avancé par la Fondation Kadhafi. C'est cette même fondation qui aurait viré les 5 millions d'euros en 2003 pour la libération de 14 des 29 otages allemands et autrichiens enlevés dans l'extrême sud algérien avant d'être transférés vers le nord du Mali. Les 15 autres l'avaient été au prix la vie de deux soldats d'une unité de l'ANP qui avaient, héroïquement, neutralisé leurs ravisseurs. Cette affaire des paiements des rançons par les pays occidentaux qui se sont engagés auprès de la communauté internationale à ne jamais céder aux conditions posées par les preneurs d'otages risque d'être lourde de conséquences aux Nations unies où à l'initiative de l'Algérie un projet de résolution est en cours pour condamner tout Etat qui verserait des rançons au terrorisme ou à la piraterie.