Les chaînes de télévision, les radios et certains quotidiens à grand tirage dont El Pais avaient annoncé à la une de leur édition, hier matin, que le gouvernement espagnol s'attend à la libération «ce mercredi» d'au moins l'un des trois catalans (une jeune femme) otages d'Al Qaïda pour le Maghreb islamique depuis le 29 novembre 2009. Quelques heures plus tard, l'ONG «Action Solidarité» à laquelle appartient cette jeune catalane confirmait cette libération, dont la certitude était faite depuis au moins trois semaines. Pour la première fois, mardi soir cette information avait été annoncée, de source officielle, bien que discrètement, le gouvernement avait observé jusque-là une stricte réserve dans ses déclarations sur cette affaire. A Barcelone où elle s'est déplacée personnellement, la Première vice-présidente du gouvernement, Mme Maria Teresa de la Vega, avait-elle anticipé en informant les familles de la bonne nouvelle, violant presque la consigne qu'elle avait elle-même et Zapatero adressée aux médias de ne pas faire dans l'imprudence ? Tout devient encore plus clair. Le gouvernement espagnol avait toutes les raisons de garder espoir depuis qu'il a versé la rançon : 2,7 millions d'euros dans les caisses de AQMI. La libération des deux autres compagnons de détention de la jeune fille ne saurait tarder. Dans ce domaine de la lutte contre le terrorisme, voilà quelques jours, l'Espagne exigeait des «explications» d'Hugo Chavez. Les relations entre l'Espagne et le Venezuela ont frôlé, lundi, la crise diplomatique. A l'origine, une enquête judiciaire ordonnée par un magistrat sur la base d'un prétendu contact, plus proche du soupçon que des faits établis, entre certains milieux officiels à Caracas et des membres de l'ETA réfugiés en Amérique latine et de la guérilla colombienne (FARC). Il n'en fallait pas davantage pour que tous les appareils se mobilisent comme un seul homme (presse, justice, opposition et bien sûr gouvernement) pour pointer du doigt le président Hugo Chavez pour ses liens avec «le terrorisme». Depuis Hanovre où il se trouvait en visite au titre de la présidence tournante de l'Union européenne, le Président Zapatero instruit son ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos de demander des «explications» au gouvernement vénézuélien sur la supposée «collaboration» de Caracas avec des membres de l'ETA. Le soir même, Moratinos téléphone à Hugo Chavez qui s'étonne de ces soupçons mais qui rassure son interlocuteur sur les craintes de Madrid. La campagne de presse n'a pas pour autant cessé, bien au contraire, presse et classe politique appellent à la rupture des relations diplomatiques avec Caracas, critiquant avec virulence «le cynisme de Chavez». La médaille et son revers L'image ici est celle d'une Espagne intraitable sur les principes qui sont ceux aussi de ses alliés européens, à leur tête la France : pas de dialogue, ni même le moindre soupçon de contact avec le «terrorisme» de l'ETA. Rien d'anormal dans cette démonstration de patriotisme sur fond d'engagement antiterroriste si une semaine auparavant un événement de même nature et autrement plus scandaleux n'était pas passé sous le nez des médis qui lui ont consacré l'importance d'un fait divers sans le moindre commentaire : la libération de cinq terroristes de Aqmi par le Mali, sous la pression de la France, en échange de celle de l'otage français et pour laquelle Bernard Kouchner a reçu les félicitations de Moratinos. Par des moyens tout aussi scandaleux, le paiement d'une rançon déjà effectué, l'Espagne attend d'un jour à l'autre l'annonce de la libération de ses trois ressortissants aux mains de Aqmi, dans le nord du Mali. Pas question ici de sentiments ou d'états d'âme. Pas la moindre enquête judiciaire dans cet Etat de droit sur cette pratique qui relève d'un comportement de maffia qui ne touche pas à la came. Des intermédiaires se chargent de remettre l'argent de la rançon ou de négocier les termes des échanges de prisonniers et otages. Paris et Madrid peuvent avoir bonne conscience. Pourtant, sur les deux capitales, il ne pèse pas, comme sur Caracas, un «soupçon» de contact avec le terrorisme. Dans le Sahel, elles ont implanté un tissu d'espions et d'informateurs maliens dont la raison d'être ne cadre pas toujours avec la lutte antiterroriste. Gao, base de repli d'Aqmi Gao, ville malienne située dans le nord du Mali, là où passait jadis, dans les années 70, le Paris-Dakar tracé par son promoteur, Thierry Sabine, décédé dans un accident d'hélicoptère dans le désert du Sahel, les visiteurs étrangers ne sont plus ces touristes venus d'Europe dans des cortèges de voitures tout-terrain, de camions et de motos. Les habitants se souviennent avec nostalgie encore de ces moments de «prospérité» révolus. Les visiteurs aujourd'hui sont d'un autre genre et leurs véhicules ne sont plus ces marques de voiture tout droit sorties des meilleures usines d'Europe, mais de poussiéreuses Land Rover, surmontées parfois de lance-roquettes, pareils à des chars d'assaut. C'est dans cette région malienne, non loin de Timiaouine et Tinzaouatine, à l'extrême-sud algérien, que Al Qaïda pour le Maghreb islamique (Aqmi) a choisi de s'établir, plus exactement dans la zone de Kidal, inaccessible de par son relief accidenté. C'est là que les groupes terroristes ramènent leur gibier, les otages occidentaux. C'est là aussi que sont venus s'établir, en grand nombre, les agents de renseignements occidentaux, experts en paiement de rançons. Certains étaient en Somalie où ils avaient remis l'argent aux pirates pour la libération des otages du chalutier l'«Alakrama». Un «nid d'espions» Depuis la capture d'un groupe de touristes allemands en 2003 par l'ex-GSPC et leur libération contre rançon, la rançon est devenue la principale source de financement des activités de terrorisme dans la région. Comme les touristes se font rares dans cette région, les terroristes vont les chercher très loin, sur un rayon de plusieurs centaines de km. Ce fut le cas, le 29 novembre dernier, de l'enlèvement en territoire mauritanien des trois ressortissants espagnols, à ce jour encore entre leurs mains. La dernière rançon, pourtant, l'Espagne l'a versée la semaine dernière. Ses agents attendent à Gao ce nid d'espions, d'intermédiaires et d'indicateurs, le plus normalement que Aqmi leur remette les trois ressortissants. A Gao, il n'est question que de ces trois otages espagnols et les quatre terroristes libérés plus personne n'en parle, il sont, pourtant, là tout près. Leur libération annoncée pour dimanche dernier par une source officielle proche du ministère malien de l'Intérieur n'a pas encore eu lieu. Un intermédiaire affirme aux journalistes sur place que ce «n'est plus qu'une question de temps. De très peu de temps». Quand ? Un autre est catégorique : «Les négociations sont au point mort et leur libération pourrait intervenir ce jour même comme deux ou trois semaines». Personne donc, pas même les intermédiaires qui viennent de remettre l'argent aux ravisseurs n'est en mesure d'avancer une date précise. La notion de temps là-bas est en effet très relative. Un journaliste espagnol qui croyait détenir ce scoop déchante. Il s'est rendu depuis à la notion du temps des gens du désert qui «n'appartient à personne» et où l'information circule de bouche à oreille pour ne pas faillir à la tradition orale dans la région. Sur place, il s'interroge sur le statut de ce territoire. Sur son avenir. Sur la menace grandissante du phénomène du terrorisme qui tend à faire du Sahel un nouvel Afghanistan. Par sur la présence louche de ressortissants européens qui ne sont pas là pour du tourisme, loin de là. Otages espagnols Cette première image du Sahel nouveau, c'est un trabendiste local qui la renvoie. Un jeune qui est connuu comme l'un de ces «contacts» de AQMI, qui entretient des relations amicales avec les occidentaux sur place, qui roule sur de l'or, mieux armé que n'importe quel soldat de l'armée malienne. Une armée qui, elle, est maintenue à distance depuis plusieurs mois par le président Ahmadou Toure pour éviter tout heurt avec les terroristes. Certains le soupçonnent d'être de ceux qui reçoivent des commissions des deux deux parties, à la manière des agents immobiliers. Lui est convaincu : les otages espagnols seront libérés. Il ne dit pas quand. Mais où, cet «agent des services de renseignements américains» à Gao cité par el Periódico le sait. Selon lui, les trois otages effectueront une halte dans la base américaine de cette ville située à deux km de Gao, avant d'être remis aux collègues espagnols pour leur transfert vers Bamako, en compagnie des intermédiaires et des collègues maliens. C'est dans cette base, Gao, que les instructeurs américains dispensent une formation militaire à quelque 600 targuis pour affronter les groupes terroristes de AQMI. Une centaine de ces instructeurs est logée dans le semblant d'hôtel de la ville. L'un d'entre eux est pessimiste sur l'aptitude de l'armée malienne à faire face groupes de Aqmi «autrement mieux équipés et mieux préparés que l'armée malienne». L'argent des rançons Dans le nord du Mali et tout le long du Sahel, ces groupes terroristes évoluent, pour le moment, en terrain conquis. Tout comme les agents de renseignements occidentaux, ils sont ici chez eux. Ne pouvant pas supporter la pression des unités de l'ANP, ils ne se hasardent plus vers le nord, dans le sud algérien. Les hommes de Ben Mokhtar restent repliés dans leurs bases du Sahel. Là-bas, ils parviennent à recruter des indicateurs parmi les jeunes maliens désœuvrés pour leur signaler la présence des rares étrangers qui s'aventurent encore dans cette la région, des touristes imprudents, des membres des organisations humanitaires mais aussi des agents de renseignement occidentaux dont l'ex- otage français Pierre Camette, qui serait lui aussi un collègue. Outre les enlèvements de touristes pour leurs besoins financiers en Algérie, les groupes terroristes se livrent à un travail d'«endoctrinement des jeunes targuis et maliens dans le nord du Mali où prolifèrent des mosquées dont les prêches incendiaires des imams incitent à la haine des occidentaux. Avec l'argent de la France et de l'Espagne, Aqmi achète des armes, construit aussi des «lieux de culte», tisse ses réseaux d'informateurs et se montre généreuse avec les tribus locales victimes de la sécheresse et de la chute du tourisme.