Il n'est de secret pour personne que Cherarba est l'une des villes où la boue est éternelle. Hiver comme été, les flaques d'eau ternissent le sombre paysage de cette cité martyre. Cherarba est comme ses voisines, Meftah, Sidi Moussa, Larbaâ Beni Moussa ou encore les Eucalyptus, le chef-lieu. «Durant les années du terrorisme, nous peinions pour mettre le pied dehors. Il nous est arrivé même de passer des nuits dans des hammams à El Harrach à cause du terrorisme qui a fait des ravages dans cette petite contrée», se souvient Boubekeur. Pour un quelconque déplacement au milieu des maisons à Cherarba, une paire de bottes est de mise. Toutes les routes, ruelles et impasses, sans exception aucune, sont impraticables. Les quelques habitants rencontrés, parmi les 100 000 que compte la ville de Cherarba, sont unanimes quant au constat fait de la dégradation du cadre de vie dans cette bourgade. «Depuis 1978, nous demandons aux autorités de la commune des Eucalyptus de nous aider afin d'améliorer notre environnement, un espace, d'ailleurs pourri, par les eaux usées», relève Mustapha. «Au quartier Ziaten tout le monde est en bottes, même en été, car la terre a trop ‘'bu'', du coup son séchage est pratiquement impossible», renchérit encore ce dernier. La terre de Cherarba est à l'origine agricole. D'ailleurs, cette région était appelée dans le temps Eddalia, c'est-à-dire la vigne. Cherarba était un champ de vignes et d'orangers, avant qu'elle ne devienne, le béton aidant, une cité résidentielle. Plus bas que Ziaten, c'est le quartier Canada, un lieu où dans les années 1980 les vendeurs de bois faisaient des rentes importantes. «L'appellation de Canada est due à la richesse de la région en bois et dérivés, et comme tout le monde le sait, le Canada est le plus riche pays en la matière», explique Soheib. Après les années des grands chiffres d'affaires, le quartier Canada se retrouve aujourd'hui quémandeur. «Le terrorisme a brûlé toutes nos marchandises et nous avons été obligés de quitter ce lieu pour notre sécurité et celle de nos familles.» Manque de transport : ce mal incurable Aza, un jeune homme à l'allure chétive, usé par les kilomètres qu'il parcourt quotidiennement pour se rendre à son lieu de travail, de l'autre côté de la capitale, témoigne : «Je suis un oiseau migrateur, je me lève très tôt le matin et je ne rentre que très tard le soir.» Le jeune père de famille se tape chaque jour 3 km à pied pour arriver à l'arrêt de bus. Et encore si bus il y a ! Les transports rencontrés sur place sont unanimes : «Nous ne pouvons accéder à l'intérieur de la cité, vu l'état de délabrement de la route, au grand dam des clients. Nous sommes pris entre le marteau et l'enclume, mais que faire ?», s'est interrogé Omar, chauffeur et propriétaire de bus. Idem pour les chauffeurs de taxi qui ne s'aventurent guère dans cet espace. Mebarek s'est dit outré de la situation des routes à Cherarba : «Nous ne travaillons pas comme il se doit, et le choix est dur à faire, entre la perte des clients ou l'usure de la voiture.» Au niveau de l'îlot 54 de la cité, nous rencontrons Hamdane. C'est le plus ancien épicier du quartier qui, pour acheminer sa marchandise de la route principale à son magasin, doit payer, malgré lui, les services des jeunes en charrette. «Chaque matin, je débourse entre 100 et 150 DA pour Lyès, un propriétaire de charrette, pour qu'il m'achemine les deux paniers de pains. En fait, je lui donne ma marge bénéficiaire.» Quant au client qui désire se rendre chez Hamdane, il doit traverser la route, et ce, d'où qu'il vienne, sur des planches pour y faire ses courses. D'où d'ailleurs le manque d'activité de cette petite boutique. A ce propos, Hamdane lance d'un air pessimiste : «Je ne vais pas tarder à fermer boutique, je n'en peux plus. Sauf si les autorités locales décident d'aménager les routes afin que les transporteurs arrivent jusqu'ici .» Nenni, les routes carrossables ! Aucune route n'est carrossable ici à Cherarba ! Et dire que nous sommes à quelques encablures de la capitale. Les quatre roues de notre véhicule peinent à avancer, malgré l'insistance du chauffeur. Ce qui nous a amené à continuer la route à pieds. Là encore, il fallait raser les murs et marcher sur la pointe des pieds afin d'éviter une chute ou une glissade. Des flaques d'eau longent toutes les rues et ruelles de la cité, sans exception. De la boue à profusion, des tas de matériaux de construction et autres débris sont déposés sur les routes. «C'est une ville sinistrée à longueur d'année», ironise Abdessamed. Et d'ajouter : «Quand l'hiver est fort et que la pluie est tombée en abondance, je vous assure que nous pouvons nous promener en barque et perche. Nos enfants ne connaissent pas de souliers durant toute cette période de l'année. Que des bottes en plastique.» «L'école n'est pas faite pour nous» Sur un terrain vague qui s'étend de bout en bout de la cité de Cherarba, nous apercevons un groupe de jeunes derrière un écran de fumée ! Renseignement pris, «ce sont des jeunes de la localité qui se chauffent au bois et autres ordures». Nous les approchons. Ils sont une dizaine, aucun d'eux ne dépasse la vingtaine, et tous sont chômeurs et sans diplôme en poche. Hafid est l'aîné du groupe, victime du terrorisme et issu d'une famille pauvre. Teint mat, silhouette maigre, enfin il a tous les signes d'une vie faite de misère. «Je suis le cadet d'une famille de sept enfants. Mes aînés ont quitté le domicile familial pour s'installer ailleurs. Je subviens seul aux besoins de ma famille, depuis la mort de mon père», a-t-il déclaré en grinçant des dents. Ses lèvres bleuies par le froid, ses vêtements sont usés par les déchargements de ciment et autres matériaux de construction, qu'il effectue moyennant 600 DA la cargaison. Interrogé sur leur niveau d'études, les jeunes ont répondu en chœur : «L'école n'est pas faite pour nous, il faut manger d'abord, étudier ensuite.» Le feu autour duquel ces jeunes désœuvrés se regroupent leur sert de chauffage, mais aussi de passe-temps, le temps de fumer un joint entre copains. En somme, la ville de Cherarba mérite, sans peur de se tromper, le qualificatif de ville aux mille flaques d'eau. Et une chose est sûre, les élus locaux sont au courant de cette situation catastrophique dans laquelle vivent des centaines d'âmes. Dans le passé, la raison du non-goudronnage des routes était liée aux constructions non achevées, mais aujourd'hui aucune raison ne peut justifier un tel laisser-aller. A bon entendeur…