Il n'y a pas de cellules dormantes, il n'y a que des réseaux en quête d'opportunités. Il serait injuste de réduire le travail accompli par les services de sécurité en matière de lutte antiterroriste. Mais il serait tout aussi injuste de passer sous silence les failles «désarmantes» dont fait preuve le staff chargé de planifier, de programmer, puis de superviser le plan de lutte contre le terrorisme. Il est de notoriété que tout travail de ce genre, même au sein des démocraties les plus avancées, est soumis aux règles de discrétion, voire de secret. Mais qu'il soit objet de désinformation, de manipulation de l'opinion et de confusion relève d'une non-maîtrise qui n'a rien à voir avec les impératifs du métier. Il y a d'abord ceci à mentionner: qu'on cesse de dire aux gens que seulement trois terroristes du GIA, continuent à sévir à Alger. Qu'une Seriat El-Bahr continue à semer la mort entre Zéralda et Cherchell, où que les Farid Bachroul et compagnie opèrent à partir de contreforts blidéens, fief des GIA par excellence, pour se déployer à Alger. Et surtout, que les GIA n'ont plus que 37 à 39 éléments opérationnels en activité. Cette dernière information, comme beaucoup d'autres, d'ailleurs, a été puisée dans les aveux de Boumehdi Djelloul, alias Abou Oubaïda. Tous ces propos ont été utilisés comme autant de vérités, alors que, par la suite, la contradiction a été apportée à ses affirmations par les principaux chefs de guerre repentis à Blida, Médéa et Alger. A commencer par ses affabulations concernant la mort de Djamel Zitouni, largement démentie par la suite. Un travail d'investigation dans les zones-crise (le croissant fertile entourant la capitale: Bou Ismaïl, Aïn Tagouraït, Koléa, La Chiffa, Guerouaou, Hammam Melouane, Rovigo, Larbaâ, Cherarba, Khemis El-Khechna et Bouzagza) a relevé ceci: il y a au moins 100 terroristes encore recherchés, affiliés aux GIA, toujours en cavale. Prenons l'exemple de Bougara (Rovigo). Lors du carnage perpétré par le GIA à Ouled Slama, les services de sécurité de la ville montraient aux témoins de l'attentat, les portraits de onze terroristes recherchés, et qui sont encore à ce jour actifs. Il s'agit des deux frères Temgali, Rahmane Abdelkader, Allel Slimane, Saïd Djamel, Aguenini Menouer, Senouci Sid-Ali, Boukhalfa Abdelkader, Bouallel Mourad, Serguini Mourad, Chama Mohamed. A Bouzegza, Khemis El-Khechna, Hamadi, Ouled Moussa et Meftah, il existe au moins quarante éléments du GIA qui n'ont plus donné signe de vie depuis longtemps. Officiellement, ils ne sont pas morts. De fait, ils peuvent être n'importe où... A Alger, on continue à rechercher le «groupe des quatre»: Farid Bachroul (Khaled El-Fermache), Douadi, Réda Mahnoun et Zikari. Ce «carré d'as» appelé Seriat Khaled Ibn El-Walid, ou encore Seriat El-Bahr El-Kital, est-il l'auteur de tous les attentats commis à Alger? Tous les indices disent que non. Le dénommé Farid Bachroul dit Khaled el-Fermache, né en 1970, et qui a été dans le noyau dur de Zouabri de 1998 à fin 2001, est aujourd'hui vieux, facilement reconnaissable par ses anciens voisins de Bou Ismaïl (n'oublions pas que la moyenne d'âge d'un terroriste est de 28-32 ans, et que Zouabri, à 30 ans, donnait l'air d'un vieillard). Or, tous les auteurs des assassinats de Khraïcia, Zéralda, Bou Ismaïl et les Eucalyptus ne dépassaient pas les 25-26 ans, selon les témoignages recueillis. En fait, nous sommes bien en face de la (re)constitution de réseaux urbains, motivés non plus, désormais, par seulement la théologico-politique, mais par l'argent. Les moyens matériels et l'argent mis à la disposition de ces réseaux par le GIA sont très importants, et les réseaux grossissent au fur et à mesure que les contrats impliquent les nouvelles recrues. Seul le chef de quartier connaît avec exactitude le nombre de ses hommes, et les effectifs grossissent ou rétrécissent par rapport aux contrats établis au jour le jour. Ces réseaux urbains ou néo-urbains, issus principalement des quartiers déshérités, mais qui trouvent encore place dans les quartiers populaires d'Alger, sont un véritable casse-tête pour les services de sécurité. Le nouveau profil du terroriste urbain est celui-ci: monsieur tout le monde. C'est un jeune âgé entre 22 et 26 ans. Le jean, tee-shirt et casquette ont remplacé le kamis, siwak et chéchia et la volonté de tuer, de créer des zones de tension, de défier la sécurité, tout en gagnant de l'argent, a remplacé l'impérieuse nécessité d'instaurer un état islamique. Ces jeunes garçons, à peine sortis de l'adolescence, exécutent on ne sait quel contrat. Ils transpercent Alger comme du gruyère, tout en passant entre les mailles des services de sécurité et des contrôles routiers grâce aux centaines de cartes d'identité en leur possession. Selon un ex-chef des groupes armés, il serait inutile de dire quel est le nombre exact de ces jeunes dans la capitale. Le mouvement incessant entre ceux qui y résident et ceux qui y viennent occasionnellement reste fluctuant, tout comme l'«effectif de zone», qui n'est connu que du seul chef de quartier, qui recrute «au contrat», d'un jour ou d'une semaine, et peut se passer des services de ses hommes de main dès que l'attentat est perpétré. Les attentats à la bombe, qui ont fait le tour d'Alger en un mois (El-Biar, Chrarba, La Concorde, la Grande-Poste, Belcourt, Birkhadem, etc.), ont impliqué l'existence de plusieurs «réseaux de quartiers». On ne se balade pas d'est en ouest avec des engins explosifs dans un cabas Le fait est là : chaque bombe posée l'a été par des «enfants du quartier». Face à ces nouvelles mutations, les prérogatives des services de sécurité s'entrechoquent, se heurtent, ne se complètent pas. Le corps de sécurité, qui a pu démanteler le groupe Bouyali au début des années 80, a été discrédité par la crise en Kabylie, pour être ensuite évacué de la lutte antiterroriste, dont il était l'un des piliers. La méconnaissance de la police locale des zones rouges, de repli ou de repères traditionnels, ainsi que l'instabilité des responsables de la lutte contre le terrorisme demeurent autant de fils à la patte. Lors du massacre de Khraïcia, nous avons discuté avec des policiers des environs (Saoula, Douéra, Birtouta, Draria et Baba Hassen) qui, nouvellement mutés, ignoraient tout de cette activité terroriste hautement stratégique. Peut-être faut-il revenir au «renseignement civil» des cellules de travail de proximité, qui ne souffrent ni d'être dans un corps de sécurité ni d'être loin de ce qui se passe dans les quartiers. Car, en face, il y a l'urgence d'endiguer ces réseaux urbains qui, s'ils arrivent à bien s'implanter dans le tissu des villes, vont s'inscrire dans la durée. Pour longtemps...