Un juge français vient de décider de prolonger pour une durée indéterminée la déjà trop longue et abusive mise en examen d'un ressortissant algérien qui n'a rien à voir, ni de près ni de loin, avec l'«affaire Mecili», du nom de l'opposant du FFS assassiné il y a plus de 20 ans à Paris dans des conditions mystérieuses. Ziane Hasseni est un homme de grande intégrité morale pour ceux qui le connaissent, dont la carrière de diplomate est limpide et sur laquelle ne plane aucune zone d'ombre. Il a été arrêté, en août dernier, à sa descente d'avion à l'aéroport Marignane de Marseille par une police aux méthodes plus proches d'un régime de non-droit que de l'Etat de droit dont se vante la république de Nicolas Sarkozy. Au mépris de ses droits et de son statut de diplomate régi par les conventions auxquelles la France se targue d'avoir été parmi les premiers pays à y avoir souscrit. Accusation sans preuves et sans témoins Dans cette «affaire Ziane Hasseni», on est devant un juge qui accuse sans preuves. Sans témoins. Un Etat quand il le veut qui laisse faire au prétexte que le juge est indépendant. Un magistrat acharné contre sa victime au point de devenir lui-même suspect d'obéir à d'autres motivations qu'à sa conscience d'homme de loi. Ce n'est pas nouveau en France. Son seul témoin à charge, Mohamed Samraoui, s'est rétracté. Cet ancien officier-déserteur entendait régler ses comptes avec sa hiérarchie qui l'avait rappelé à Alger dans les années 90, à la fin de sa mission de 4 ans en Allemagne, où il avait pris goût au confort de la société de consommation. Il affirme donc avec certitude et sans crainte d'être poursuivi pour faux témoignage connaître le commanditaire de l'assassinat de Ali André Mecili et pointe du doigt Ziane Hasseni qu'il n'avait jamais vu auparavant. Le juge se gardera, en effet, de le poursuivre pour faux témoignage, lui qui quelques années plus tôt, en mégalo-paranoïaque indiscutable, se disait aussi le seul à connaître le commanditaire de l'assassinat de feu Mohamed Boudiaf, lorsque lui-même était alors au Pakistan. De «témoin oculaire», sûr d'avoir remis une «enveloppe» au «commanditaire» de l'«affaire Mecili», il est devenu «l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours». Pour une justice digne de ce nom, c'est un faux témoin, donc exposé à des poursuites judiciaires. Pour ce juge français c'est toujours le témoin. Le seul. Un accusé, même un innocent Même en l'absence de preuves et de témoins crédibles, le magistrat français a refusé de conclure au non-lieu. Il a décidé de garder en examen Ziane Hasseni parce que, c'est évident, il faut un coupable. Contre l'avis du parquet qui s'est rendu à l'évidence du ridicule de cette accusation qui touchait à la dignité d'un commis d'un Etat étranger souverain, et à travers sa personne, à l'Etat algérien. Pour ce juge, il faut un accusé, même un innocent, s'agissant à plus forte raison d'un fonctionnaire de l'Etat algérien. Voilà, en fait, la raison profonde de ce harcèlement judiciaire aux motivations politiques évidentes. Cibler l'Etat algérien. On est loin d'une affaire de justice et plus près d'un procès aux dessous politiques. Dans l'assassinat de Mecili, les attentats du métro de Paris, l'enfer des banlieues ou l'affaire de sept moines de Tibhirine – pourquoi pas aussi le double attentat de Moscou et du nord du Caucase – la France y a vu l'œuvre de la Sécurité militaire. C'est gravé dans les mémoires. Des journalistes, des policiers et des juges. La SM ? Une piste privilégiée pour sa justice. Une qui n'a jamais conduit que vers cette certitude : le ridicule des hypothèses émises par des esprits pollués par les clichés, les stéréotypes et les lieux communs d'une propagande politique naïve mais qui porte. La position de l'Elysée, le commanditaire des enquêtes judiciaires les plus retentissantes, est en retrait, pareille à de la camorra qui ne touche pas avec ses mains à la cam. «La France est un Etat de droit». Très convainquant ! Un Etat de droit qui met en examen un innocent à travers une procédure judiciaire plus longue que le procès de Maurice Papon, qui fait pression sur le Mali pour remettre en liberté des terroristes d'Al Qaeda, qui paie des rançons aux terroristes, ça n'existe qu'en France. Elle a belle allure la plus belle démocratie du monde ? La main de l'Elysée La mise en examen de Ziane Hasseni dépasse, en réalité, les compétences d'un petit magistrat. Ce n'est pas une affaire de justice. C'est un vulgaire scénario policier de plus monté quelque part à l'Elysée ou au Quai d'Orsay, et nulle part ailleurs. Son objectif c'est, comme à pareille occasion, de détourner l'attention du débat sur le devoir de mémoire de l'Algérie d'exiger de Paris des excuses officielles pour les crimes du système colonial qui a agi en son nom. Une casserole que la diplomatie française traîne comme les lépreux. Bizarre quand même que dans ces conditions, Paris veuille des relations fructueuses avec l'Algérie, son gaz à bon marché, des méga-projets pour ses entreprises en faillite, des relations diplomatiques intenses au plan international et une coopération spéciale contre le terrorisme. Et en retour ? Elle affiche du mépris pour un million et demi de martyrs dont elle bafoue la mémoire par son refus de reconnaître ses crimes de guerre. Un génocide pareil à celui pour lequel l'Allemagne, en nation civilisée, lui a présenté ses excuses. La France a su apprécier les excuses de la Serbie pour les crimes commis en son nom en Bosnie et décide d'ouvrir grandes les portes de l'Union européenne devant Belgrade. Dans ces conditions, la tension dans les relations algéro-françaises a encore de beaux jours devant elle. Paris peut toujours ordonner au petit juge de fermer le dossier Ziane Hasseni. Elle ne réhabilitera pas, pour autant, sa justice de ses abus. Par ses méthodes policières, le harcèlement judiciaire des fonctionnaires des Etats étrangers et le bricolage diplomatique du Quai d'Orsay, elle aura du mal à convaincre que le juge français est indépendant et que la France est un Etat de droit au-dessus de tout soupçon.