Face à un pouvoir sourd aux revendications politiques et sociales de larges couches de la population égyptienne, des mouvements de l'opposition ont encore une fois manifesté cette semaine au Caire pour réclamer des réformes politiques démocratiques, mais les manifestants ont été violemment réprimés. Mardi dernier, des centaines de manifestants issus du mouvement dit du 6 avril ont tenté de se regrouper devant le siège du procureur général pour protester contre l'arrestation une semaine auparavant de quelque 90 de leurs camarades. Les protestataires qui scandaient des slogans anti-Moubarak, demandant la chute de son régime et la suppression de l'état d'exception en vigueur dans le pays depuis 30 ans, étaient rejoint par d'autres militants du mouvement Kifaya (Assez), très critique envers le pouvoir. Ce mouvement créé en 2004, non autorisé, regroupe des militants de toutes tendances, notamment laïque. Il prône le changement, réclame pacifiquement depuis plusieurs années déjà l'annulation de l'amendement de la Constitution égyptienne introduit par le clan Moubarak et qui verrouille le système politique en imposant des conditions draconiennes à la candidature au poste de président de la République. Quant au mouvement de la jeunesse du 6 avril, apparu en 2008, pour protester initialement contre la cherté de la vie, il est conduit par les étudiants des universités égyptiennes, qui eux aussi réclament le changement, dénoncent la corruption endémique du régime par le recours à la grève. Pour marquer le deuxième anniversaire de sa fondation, ce mouvement qui n'a pu avoir l'autorisation de manifester le 6 avril a rendu public un texte appelant à «l'adoption d'une loi sur les droits politiques proposée par 100 députés de l'opposition au Parlement, l'abandon de l'état d'urgence, la modification des articles 76, 77, et 88 de la Constitution égyptienne pour permettre l'entière supervision des juges sur le processus électoral, et pour permettre à un candidat indépendant comme le Dr Al Baradei de se présenter aux élections présidentielles dans des conditions raisonnables». Solidarité entre régimes Les militants ont voulu déposer ce texte au siège de la présidence de la République, mais ils en ont été empêchés par la force. Cette fois-ci, les manifestants ont eu la sympathie de travailleurs égyptiens établis au Koweït qui se sont rassemblés pour seulement voir apporter un soutien à ces mouvements. Or les autorités koweïtiennes «en coordination», selon l'opposition égyptienne, avec le tenants du pouvoir au Caire, arguant une atteinte aux lois du pays, ne se sont pas fait prier pour sortir les grands moyens contre les manifestants qui ont osé «braver l'hospitalité» d'un pays frère. Il faut rappeler que le régime de Moubarak détient une vieille «dette» auprès du riche émirat pétrolier pour avoir été son principal allié arabe lors de son invasion en 1990 par les troupes de Saddam Hussein. Le jour même de la manifestation, une vingtaine d'entre eux sont conduits à l'aéroport pour être renvoyés chez eux, perdant ainsi boulot et petit confort qu'ils ne trouveront jamais en Egypte où le chômage et la pauvreté sont le lot quotidien de la majorité de leurs compatriotes. Ce courage de tout perdre pour appuyer des revendications légitimes des masses égyptiennes démontre ainsi la détermination des nouvelles forces sociales en Egypte à en finir avec un régime coupé de la population, qui a failli dans tous les domaines. Pour la première fois, les Etats-Unis, grand protecteur du régime Moubarak, ont réagi contre la répression des manifestations de l'opposition, créant une peur panique chez les dirigeants égyptiens qui ont timidement fait valoir le rejet de toute ingérence dans les affaires intérieures du pays. L'expulsion par le Koweït des manifestants égyptiens qui ont ouvertement exprimé leur soutien à l'ancien directeur général de l'Agence international de l'énergie atomique, le prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, est aussitôt dénoncé par l'ONG américaine de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch. «Les forces de sécurité de l'Etat du Koweït devraient cesser d'arrêter et d'expulser les partisans expatriés du candidat de l'opposition égyptien, le Dr Mohamed El Baradei», a fait savoir cette ONG dans un texte, estimant que «le Koweït devrait immédiatement libérer tous les Egyptiens encore détenus et autoriser ceux qui ont été expulsés à réintégrer leurs foyers au Koweït». Le Koweït s'en prend aux expatriés égyptiens La directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW, Sarah Leah Whitson, affirme ainsi, qu'«en s'en prenant aux partisans d'El Baradei, le Koweït est en train de faciliter la répression exercée par les autorités égyptiennes». Cette responsable interpelle les citoyens koweïtiens qui «devraient, à ses yeux, se demander pourquoi leurs services de sécurité s'en prennent à des Egyptiens souhaitant des réformes dans leur pays, au lieu de protéger les intérêts sécuritaires nationaux». Pour justifier donc leur acte, les autorités koweitiennes, et par la voix du ministre de l'Intérieur, Cheikh Jaber Al Khaled Al Sabah, expliquait que «les personnes arrêtées et expulsées avaient enfreint les lois du Koweït sur les rassemblements publics et sur la diffamation en critiquant le président égyptien Hosni Moubarak». Pour lui, «ce sont des visiteurs au Koweït, et nous les considérons comme des visiteurs au Koweït. Quand quelqu'un enfreint la loi, il doit retourner dans son pays. Nous n'autorisons pas les manifestations dans ce pays». Ainsi, les 250 000 citoyens égyptiens qui vivent et travaillent actuellement au Koweït sont avertis. La solidarité entre régimes arabes a joué. Pourtant, interrogé si son pays et le Koweït ont cordonné l'action des expulsions suite à ces évènements, le chef de la diplomatie égyptienne, Ahmed Abou El Gheit, a déclaré «ne pas être au courant» de ce qui s'est passé dans l'émirat ! Seulement, sur le site web d'El Baradei, il est dit que «les autorités égyptiennes ont envoyé une commission spéciale pour enquêter sur le comportement des Egyptiens au Koweït» et que «ces enquêtes ont abouti à des décisions d'éloignement» de certains d'entre eux. Du reste, des hommes politiques et des parlementaires de l'émirat ont dénoncé ces mesures que le ministre égyptien affirme jusqu'à ignorer l'existence. Cela dénote à coup sûr que le régime vieillissant du Caire est sur une pente dangereuse. «Nous entrons dans une nouvelle ère», a ainsi indiqué un responsable local d'une association égyptienne, prévoyant que «jusqu'à l'élection présidentielle (en janvier 2011) nous assisterons à un durcissement de la répression, à des arrestations arbitraires et les droits seront davantage bafoués». Du reste, en réaction à cette répression, Mohamed El Baradei a appelé au boycott des prochaines élections «pour priver le président Moubarak de légitimité». Cela fait peur aux tenants du pouvoir d'autant que le président Moubarak est absent de la scène nationale depuis son retour d'Allemagne, il y a près d'un mois, où il avait été opéré de la vésicule biliaire, selon la version officielle. Cela fait peur, surtout que les Etats-Unis, qui ne sont pourtant pas en odeur de sainteté chez les partisans du changement en Egypte, n'ont pas cette fois-ci fermé l'œil face à la répression policière.