«S´il n'y a plus de questions, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne chance dans votre travail.» L'ancien ministre des Affaires étrangères de feu Houari Boumediene venait de conclure une «chaude» conférence de presse à l'aéroport d'Alger, en 1974, peu de temps après avoir négocié la libération des ministres du Pétrole de l'Opep, pris en otages à Vienne, et dont l'avion s'envolait maintenant pour Tripoli, sa dernière escale. Arrivé à la hâte par jet privé depuis Paris, le journaliste d'une célèbre radio française parvient à se frayer un passage jusqu'au ministre qui s'était déjà levé, et lui présente son micro : «Monsieur le ministre, je viens juste d'arriver, une seule question s'il vous plaît.» Bouteflika se montre compréhensif mais rappelle la règle du jeu : «C'est OK, si vos collègues sont d'accord, mais pas d'exclusivité.» Très professionnel et habile, le journaliste français dose sa question : «Est-ce que vous avez cru reconnaître Carlos parmi les terroristes ?» Une question à triple piège. Une question à triple piège Rodé à ce genre d'épreuves face aux médias occidentaux, Bouteflika fait cette mise au point : «Je lis les journaux comme vous et j'écoute les radios comme vous, je suis par conséquent à jour en matière d'actualité. Je vous ferais observer toutefois que je suis le ministre des Affaires de l'Algérie et non pas l'indicateur des services de renseignements qui pourraient avoir inspiré votre question, de savoir si j'ai cru reconnaître quelqu'un parmi les membres du commando, pas les terroristes comme vous les appelez vous.» Abdelaziz Bouteflika n'a pas usurpé sa réputation de fin diplomate qui a écrit les meilleures pages de la diplomatie algérienne depuis que, à l'âge de 25 ans il avait déjà négocié les dossiers les plus épineux avec De Gaulle, Mao Tsé Toung, Tito, Sokarno et connu personnellement des célébrités comme Guevara. Avec son retrait, en 1979, de la vie politique de son pays après la disparition de Houari Boumediene, la diplomatie algérienne commence une traversée du désert de 20 ans. L'isolement international La décennie noire a eu son lot de dégâts diplomatiques qui finiront par isoler durablement l'Algérie sur la scène internationale. Mohamed Salah Dembri, ancien ministre des Affaires étrangères sous Liamine Zeroual, nous confiait, en 1994 : «Une simple affaire de l'Airbus d'Air France a coûté 10 ans de retard à la diplomatie algérienne.» L'Algérie est devenue infréquentable. Aucun avion européen ne se pose dans les aéroports algériens. Dans les années 2000, Yazid Zerhouni se souvient, lui, de l'«humiliation» lorsqu'en poste à Tokyo il devait négocier quotidiennement avec les banques des lignes de crédits - «au prix fort» - pour les besoins de consommation incompressibles. Récemment, Ahmed Ouyahia rappelait que du «temps du FMI» l'Algérie négociait au quotidien son bateau de lait en poudre. C'était le temps du rééchelonnement de la dette externe qui avait atteint le pic de 34 milliards de dollars, générant un service (de la dette) dépassant les 80% des recettes pétrolières du pays. Après le rééchelonnement, le moratoire de la dette externe était là. L'image de l'Algérie à l'étranger était celle de l'insécurité, pour les personnes et les capitaux. Le «qui tue qui ?» finira par donner le coup de grâce à la diplomatie algérienne et sceller la mise en quarantaine politique de l'Algérie. Bouteflika : «Je redonnerais à l'Algérie sa place dans le monde» Désertée par les compagnies aériennes, Alger est boudée par les hommes politiques étrangers et les hommes d'affaires. C'est dans cette conjoncture difficile de la fin de la «décennie rouge» que Bouteflika est venu aux affaires. Les caisses de l'Etat sont vides alors que l'isolement international de l'Algérie est total. Les Algériens se demandaient alors par quel miracle l'Algérie pourrait-elle retrouver sa place sur la scène internationale ? Pourtant c'est cet engagement que l'ancien ministre des Affaires étrangères ne va pas hésiter à prendre, publiquement, devant ses compatriotes. En 1999, il faisait cette promesse : «Je ferais retrouver à l'Algérie sa place dans le concert des nations.» Pari difficile, bien que Abdelaziz Bouteflika avait un CV et un agenda personnel en béton au plan international. Le succès historique du sommet de l'OUA, le 12 juillet 1999 à Alger, amorce le premier pas du retour de l'Algérie sur la scène internationale. Pas moins de 44 chefs d'Etat sont présents à ce rendez-vous. Un record. Bouteflika et ses pairs animent ce que sera par la suite le Nepad, institution mise en place pour plaider le droit au développement de l'Afrique. La question de la dette africaine, estimée à plus de 300 milliards de dollars, est mise sur la table du G8. Les huit pays les plus riches du monde annoncent de timides mesures pour «alléger le fardeau financier» des pays africains les plus pauvres. Bouteflika sort ses meilleurs arguments : «Cela revient à dire à une personne agonisante qu'une remise lui est accordée sur ses dettes, ce que de toute façon un mourant ne peut pas rembourser.» Des arguments de poids qu'il utilisera depuis que l'Afrique est redevenue, comme à l'âge d'or de la diplomatie algérienne, une priorité pour l'Algérie. L'action extérieure Le président Bouteflika multipliera ses visites d'Etat à l'étranger. En France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Russie, dans la plupart des pays arabes et en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Le capital de confiance est restauré avec tous les partenaires traditionnels. Il rencontrera huit fois le président Bush en seulement deux ans, à Washington ou au sein du G8, et fera de l'Algérie le partenaire de premier plan des Etats-Unis dans la coopération pétrolière et la lutte antiterroriste. C'est quelque part grâce à cette relation particulière qui est née entre Washington et Alger que les Etats-Unis sont revenus, la semaine dernière, sur la «liste des 14 pays» dont les ressortissants devaient être soumis à des contrôles corporels dans les aéroports américains. C'est cette même relation qui a évité que les Etats-Unis, alliés traditionnels du Maroc, ne penchent, comme le fait la France, vers les thèses marocaines sur le Sahara occidental. En 1999, l'Union européenne avait déjà signé des accords d'association avec le Maroc et la Tunisie. Les négociations traînaient en longueur avec l'Algérie qui était exclue, contrairement à ses deux voisins maghrébins, du dialogue des pays du sud de la Méditerranée avec l'Otan, par le SG de l'Alliance atlantique, Javier Solana, ancien chef de la diplomatie du socialiste espagnol Felipe Gonzales. La première visite officielle effectuée par le président Bouteflika, en 2001 puis en 2002 au siège de l'Otan à Bruxelles, est un remarquable succès diplomatique. Le nouveau patron de l'Otan, De Hoop Shiffer, effectuera en Algérie sera première visite hors-Alliance atlantique. Une année plus tard, au conseil européen de Valence, sous la présidence semestrielle européenne de l'Espagne, les présidents Bouteflika et José Maria Aznar paraphent le premier accord d'association Algérie-UE. Alger et Madrid passent la vitesse supérieure dans leurs relations bilatérales avec la conclusion d'un traité d'amitié et de coopération. Le second gazoduc, Medgaz, reliant les deux pays est en projet. Le paiement anticipé de la dette externe Les réserves de change de la Banque centrale sont à leur meilleur niveau, et cette embellie financière, le gouvernement algérien saura l'exploiter opportunément pour plaider le remboursement par anticipation de la quasi-totalité de la dette externe algérienne. Les principales places boursières, le Club de Paris, puis celui de Londres, marchent. L'Algérie ne doit plus, en 2007, que 700 millions pour l'Allemagne et les Etats-Unis qu'elle peut débourser par un simple virement bancaire. La diplomatie algérienne venait de négocier adroitement ce qui était à l'origine de sa mise en quarantaine. Elle s'est mise désormais à l'abri de toute pression extérieure et le FMI, comme dirait Ahmed Ouyahia, «ne peut qu'émettre des avis et pas donner d'instructions à l'Algérie», comme du temps du rééchelonnement. Abdelaziz Bouteflika a tenu sa promesse : l'Algérie est redevenue une voix écoutée sur la scène internationale et Alger une place importante en Méditerranée libre de ses prises de position.