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« Boumediène envisageait de libéraliser le régime »
Paul Balta, ancien correspondant du journal le Monde à Alger
Publié dans El Watan le 27 - 12 - 2008

Véritable homme frontière comme on n'en trouve plus de nos jours, Paul Balta a séjourné à Alger durant les années 1970. Sous-chef du service Proche-Orient au journal Le Monde, il a été correspondant au Maghreb, avec résidence à Alger de 1973 à 1978. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, ce passeur entre les cultures et amoureux de la Méditerranée reviendra sur le parcours de l'homme fort d'Alger qu'il a connu et dont il a apprécié les qualités, indéniables, soutient-il. D'ailleurs, le journaliste ne s'est jamais départi de la sympathie qu'il a pour le président algérien. L'écrivain le fait toujours savoir dans ses entretiens avec les mêmes mots, toujours bien sentis. Paul Balta a écrit, entre autres ouvrages, La Stratégie Boumediène, Sindbad, 1979 ; La Vision nassérienne, Sindbad, 1982 ; ou encore L'Algérie, éditions Milan, Toulouse, 2000.
Comment s'est déroulée votre première rencontre avec le président Houari Boumediène ? Les appréhensions que vous ne manquiez pas d'avoir ont-elles disparu depuis ?
Correspondant du journal Le Monde au Maghreb, de la Libye à la Mauritanie, résidant en Algérie de 1973 à 1978, j'ai rencontré Houari Boumediène avant la IVe Conférence des chefs d'Etat des pays non alignés (Alger, 5-9 septembre 1973). Ce premier contact, déterminant pour la suite de nos relations, nous éclaire sur sa personnalité. Je venais de publier La politique arabe de la France et des articles sur l'enseignement de l'arabe. Ils étaient sur son bureau. Après un tour d'horizon, en français, au cours duquel il m'avait interrogé sur mes entretiens avec De Gaulle, Pompidou et Nasser, je lui avais dit : « Monsieur le Président, je crois que vous accordez vos interviews officielles en arabe. » Il avait approuvé d'un signe de la tête. « Cela ne me dérange pas. Toutefois, au Collège Saint Marc, à Alexandrie, mes professeurs égyptiens m'ont enseigné un arabe classique, un peu archaïque. » Il a poursuivi : « Hélas, hélas ! Et cela n'a pas changé ! » D'une extrême courtoisie, il avait eu un geste d'excuse pour m'avoir interrompu et m'a invité à poursuivre. Je lui ai alors expliqué que j'avais acquis seul mon vocabulaire économique et politique et demandé de me parler plus lentement en abordant ces thèmes. En grand seigneur, il a répondu : « Monsieur Balta, vous avez beaucoup fait dans vos écrits pour la culture des Arabes et leur dignité. Nous avons commencé en français, nous continuerons donc en français ! » Et il en fut ainsi pendant quelque cinquante heures d'entretiens en tête-à-tête qu'il m'a accordés en cinq ans et qui furent d'une grande liberté de ton. Si j'avais des appréhensions avant l'entretien, elles se sont vite dissipées lorsqu'il m'a dit : « Vous appartenez au monde arabe par votre mère. C'est important, car chez nous la mère compte plus. Vous expliquez le monde arabe de l'intérieur. C'est pourquoi j'ai souhaité vous voir nommé correspondant à Alger. Voilà, maintenant, vous êtes des nôtres. »
On disait que l'homme discret ne menait pas la grande vie. D'où lui est venu ce trait de caractère qui le distingue des présidents qui ont accédé à la magistrature suprême depuis l'Indépendance du pays ?
Discret mais efficace, timide mais fier, réservé mais volontaire, autoritaire mais humain, généreux mais exigeant, prudent dans l'audace, voilà comment m'est apparu Boumediène. Pourquoi ? Né dans une famille de paysans pauvres, de père arabophone et de mère berbérophone, il estimait qu'il incarnait les deux grandes ethnies de l'Algérie. En outre, il a passé son enfance parmi les fellahs dont il a conservé la rusticité dans sa vie personnelle. Une fois au pouvoir, il considérait que l'argent de l'Etat appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé. Par exemple, contrairement à plusieurs chefs d'Etat arabes, il ne s'est pas fait construire un ou même plusieurs palais luxueux en Algérie ou à l'étranger. De même, pour ses déplacements à Alger et dans les wilayas voisines, il disposait de voitures confortables, sans plus. À ses yeux, avoir des autos de luxe du genre Rolls Royce ou Mercedes, c'était du gaspillage. Il m'avait raconté qu'un émir du Golfe lui avait offert une de ces voitures de luxe qu'il a aussitôt fait mettre dans un garage. Après sa mort, on l'y a retrouvée rouillée et pratiquement inutilisable. Je signale aussi qu'à la suite de son mariage avec Anissa El-Mensali, jeune avocate au Barreau d'Alger, début 1973, période où l'Algérie reçoit de nombreux chefs d'Etat et s'affirme sur la scène internationale, on remarque plus de recherche dans le choix de ses costumes, il change souvent de cravate et remplace son traditionnel burnous marron assez rugueux par un superbe burnous noir en poil de chameau, dont deux oasis sahariennes ont la spécificité. La meilleure preuve de son intégrité : à sa mort, il n'y avait que 6000 dinars sur son compte CCP et c'était le seul qu'il avait. Homme intègre, Boumediène a certes fermé les yeux sur les abus (détournements de fonds ou de terres agricoles, abus de pouvoir, etc.) commis par des chefs militaires. Interrogé sur ce point, il m'avait répondu : « J'aurais voulu m'en séparer, mais je n'ai pas trouvé des gestionnaires aussi capables pour les remplacer. » Il a néanmoins veillé à limiter au maximum le phénomène de la corruption. C'est sous Chadli Bendjedid qu'elle prendra une forme quasi institutionnelle.
La liberté de ton et l'ouverture d'esprit qu'il avait en privé avec ses interlocuteurs, surtout étrangers, ne contrastent–elles pas avec l'ambiance générale des libertés personnelles et collectives ? Des opposants au régime en place ont été contraints à l'exil, alors que d'autres furent malmenés pour « menées subversives ». Comment expliquer ce contraste ?
Certes, on peut citer plusieurs exemples. Ainsi jugeait-il sévèrement les responsables du FLN qui avaient profité de leur position pour s'adjuger des biens ou de l'argent. On peut citer aussi le cas de Kaid Ahmed, qui l'avait rejoint en 1965 et qu'il avait nommé membre du Conseil de la Révolution et ministre des Finances. En 1969, il deviendra numéro deux du système et sera nommé au poste de responsable de l'appareil du FLN. En désaccord avec Boumediène au sujet de l'application de la Révolution agraire, il démissionne en 1974 et s'exile en France, puis en Libye et, enfin, au Maroc. Toutefois, des cas comme celui-ci sont peu nombreux en comparaison avec la plupart des pays arabes où les chefs d'Etat sont impitoyables avec les opposants. Je rappelle que Boumediène avait trois cercles de collaborateurs : 1- le noyau dur, très proche de lui, 2- ceux de la présidence, choisis en fonction de leurs compétences et de leur disponibilité, 3- ceux auxquels il déléguait ses pouvoirs. J'ai pu constater quand j'allais à la présidence ou lorsque je couvrais un de ses voyages dans le pays, qu'il avait un rapport de courtoisie avec ses collaborateurs, qu'il s'agisse des ministres, de ses conseillers et aussi de ses secrétaires, de ses chauffeurs et de ses gardes du corps. Néanmoins, il était aussi très ferme et exigeant, comme il l'était avec lui-même. Je souligne qu'il l'était aussi, sauf en de rares exceptions, avec ses interlocuteurs étrangers.
Le président Boumediène comptait faire de « grandes choses » et surprendre ses proches collaborateurs en engageant des réformes... Malheureusement la maladie l'a pris de court. Qu'en est-il exactement ?
Ses réflexions, au cours de notre dernier entretien, m'avaient donné à penser qu'il envisageait de libéraliser le régime. Le Monde ayant décidé de m'envoyer en Iran couvrir la Révolution islamique de l'ayatollah Khomeyni, j'ai rencontré Boumediène à la fin août 1978 pour l'en informer et lui faire mes adieux. Il m'a dit être consterné et a insisté pour que je reste : « Vous avez vécu la mise en place des institutions, il faut aller jusqu'au bout. Il va y avoir des changements importants. J'envisage, pour la fin de l'année ou le début de 1979, un grand congrès du parti. Nous devons dresser le bilan, passer en revue ce qui est positif mais surtout examiner les raisons de nos échecs, rectifier nos erreurs et définir les nouvelles options. Témoin de notre expérience, vous êtes le mieux placé pour juger ces évolutions. » Je lui ai alors posé ces questions : « Envisagez-vous d'ouvrir la porte au multipartisme ? » « Allez-vous accorder plus de place au secteur privé ? » « Pensez-vous libéraliser la presse et faciliter l'organisation du mouvement associatif ? » La façon dont il avait souri allait dans le sens d'une approbation. Il avait conclu : « Vous êtes le premier à qui j'en parle. Je ne peux être plus explicite pour le moment. Faites-moi confiance, vous ne serez pas déçu ! » Par la suite, Ahmed Taleb Ibrahimi m'avait dit que le Président l'avait informé de cet échange et confirmé sa volonté de changement. Le Monde avait maintenu mon rappel et Boumediène, mort le 28 décembre, n'a pu mettre en oeuvre ses réformes.
Boumediène s'était entouré d'hommes qui lui sont restés fidèles jusqu'à la fin. Comment s'est fait son choix ? Ces hommes se sont-ils imposés à lui au gré des rencontres et des crises qu'a connues le FLN durant la guerre de Libération ? Cette garde prétorienne pouvait-elle lui échapper ?
Dès les années 1950, Boumediène se méfiait des hommes politiques. Il reprochait à nombre d'entre eux de s'être embourgeoisés dans les capitales arabes et autres et de se livrer à des intrigues pour satisfaire leurs ambitions personnelles. En outre, le FLN dont il reconnaissait le rôle déterminant dans la mobilisation contre la colonisation lui apparaissait comme un mouvement déchiré entre tendances divergentes. Voyant loin, il s'appliqua alors à faire de l'ALN une force organisée et disciplinée, garante une fois l'Indépendance acquise de l'unité nationale et territoriale au nom de l'idéal révolutionnaire. Dès lors, l'armée est devenue sa véritable famille. Parmi les collaborateurs qui étaient les plus proches de lui et qui étaient souvent ses confidents, je citerai ceux que j'ai bien connus. Ahmed Taleb Ibrahimi, médecin de formation, ministre de l'Information et de la Culture, à mon arrivée. C'est un homme d'une très grande culture arabe et française. Abdelaziz Bouteflika, qui a eu le privilège d'être à l'échelle internationale le benjamin puis le doyen des ministres des Affaires étrangères (1963-1979) et le président de l'Assemblée générale de l'ONU en 1974, lui aussi m'avait souvent reçu en tête-à-tête et fait des confidences qui m'avaient beaucoup aidé dans mon travail. Il y avait aussi le Dr Mahieddine Amimour, chargé des relations avec la presse à la présidence. Anissa Boumediène m'avait expliqué que Boumediène respectait le principe de la collégialité. Exemple : lorsqu'un ministre proposait un projet ou une directive en contradiction avec son point de vue, il lui disait : « J'accepte. Si ça marche, c'est toi qui en bénéficieras. Si ça ne marche pas, c'est le Président qui en assumera la responsabilité. » De toute façon, sa garde prétorienne n'avait aucune raison de lui échapper.
Pourquoi Boumediène est-il resté plus de dix ans après sa prise du pouvoir avant de se résoudre à initier des textes valant « code de gouvernance » (Charte et Constitution de 1976), alors qu'il s'est toujours efforcé de donner de lui-même l'image de quelqu'un qui incarnait l'Etat, qui avait « cette passion d'Etat » dont vous-même vous aviez parlé ?
Effectivement, Boumediène avait la « passion de l'Etat » et n'a cessé de le prouver. Il voulait tout d'abord édifier l'Etat centralisé que l'Algérie n'avait pas eu dans le passé, contrairement au Maroc et à la Tunisie et il a réussi. Il était également très fier d'avoir institué les Assemblées populaires communales (APC) en 1967, puis les Assemblées populaires de wilaya (APW) en 1969. Au cours d'un entretien début 1975, il m'avait dit : « Pour ce qui est de la démocratie, mes prédécesseurs ont fait les choses à l'envers en commençant par l'Assemblée nationale, c'est comme s'ils avaient placé la pyramide sur la pointe. Moi, j'ai commencé par la base. » Je lui avais alors fait observer que APC et APW auraient bientôt dix ans. Dès lors, ne fallait-il pas envisager la mise en place d'une Assemblée nationale ? Il m'avait répondu : « Je crois que nous ne sommes pas mûrs. » Je lui ai demandé : « Qui, nous ? » Et il m'a répondu : « Le peuple algérien. » Je n'ai pas hésité à exprimer mon étonnement, en soulignant que ce peuple avait donné la preuve de sa maturité politique au cours des huit ans de la guerre de Libération, mais aussi depuis l'Indépendance et, surtout, depuis son accession au pouvoir en acceptant bien des sacrifices pour favoriser le développement à marche forcée. Il fronça les sourcils et prit le temps de la réflexion avant de s'exclamer : « Non, nous ne sommes pas mûrs. En effet, contrairement aux APC et aux APW, l'Assemblée nationale sera une vitrine intérieure et extérieure. Je ne voudrais pas qu'elle soit la vitrine de nos divisions et de nos régionalismes. » Néanmoins, réflexion faite, il ne tardera pas à mettre en œuvre une série de réformes : l'adoption en 1976 de la Charte nationale, puis celle de la Constitution et l'élection du président de la République au suffrage universel. En 1977, l'Assemblée nationale sera enfin mise en place afin que « la légitimité révolutionnaire soit couronnée par la légitimité constitutionnelle ».
Les relations avec la France de De Gaulle et par la suite de Giscard et avec d'autres pays étaient empreintes d'une certaine constance. La diplomatie, soutient-on toujours, n'a jamais connu autant de prestige que durant son règne. A quoi attribuez-vous cela ? Peut-être aux relations qu'auraient tissées, pendant la guerre, les réseaux du FLN…
Le général de Gaulle voulait préserver l'avenir de la coopération malgré les passions suscitées par le conflit au Sud et au Nord. Il m'avait dit, en 1967, avoir de la considération pour Boumediène qui venait d'accéder au pouvoir. D'ailleurs, vers la fin de la guerre, un de ses collaborateurs avait établi et commenté une liste des chefs de l'ALN. Devant « Boumediène », il avait écrit : « Obscur colonel qui ne semble pas voué à un grand avenir. ». Le général avait ajouté : « Je pense exactement le contraire. » L'homme du 18 juin 1940 avait compris les motivations de celui qui est devenu l'homme du 19 juin 1965. Les deux communiquaient à travers leurs ambassadeurs. En 1967, invité par De Gaulle à Paris pour une visite de travail, Boumediène avait décliné l'offre, car il souhaitait une visite d'Etat avec cortège sur les Champs-Elysées et dépôt d'une gerbe de fleurs à l'Arc de Triomphe. Mais un tel cérémonial était prématuré, compte tenu des blessures non encore cicatrisées. Georges Pompidou (1969-1974) renouvela l'invitation, mais la nationalisation des hydrocarbures (février 1971) entraîna l'ajournement du projet. Finalement, c'est Gaiscard d'Estaing qui proposera de faire la visite d'Etat en Algérie, en 1975. Dans son discours d'accueil officiel, Boumediène avait affirmé vouloir « tourner la page, sans la déchirer » et proposé une importante coopération entre l'Algérie et la France. Hélas, selon ce que m'avait confié notre ambassadeur, M. Soutou, « Giscard l'avait considéré comme un bougnoul et n'avait guère pris en considération ses multiples propositions ». Boumediène ne m'avait pas caché sa déception. Il avait alors souligné son admiration pour De Gaulle : « Ce visionnaire, rénovateur de la politique arabe de la France. » Il confirmera sa position dans son message de condoléances, à la mort du général en 1970 : « Je m'incline devant le patriote exceptionnel qui a su concevoir dans une vision noble et généreuse (...) l'avenir des peuples algérien et français. » Quoi qu'il en soit, certains de ses conseillers avaient suggéré à Boumediène de « banaliser » les rapports entre Alger et Paris. Il avait répondu : « On ne peut ignorer le poids de l'histoire. Les relations entre la France et l'Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises. En aucun cas, elles ne peuvent être banales ! »
Le système Boumediène s'est-il perpétué après sa disparition ou bien ses successeurs ont dilapidé l'héritage qu'il a laissé ?
À ma connaissance, c'est Abdelaziz Bouteflika qui aurait dû lui succéder. En fait, c'est sous Chadli Bendjedid que la corruption, dont il a été le premier bénéficiaire, s'est institutionnalisée. En outre, le développement économique s'est dégradé, le chômage a atteint des proportions inquiétantes et le fossé s'est creusé gravement entre riches et pauvres. De même, la dégringolade s'est produite dans le domaine de la culture et sur le plan international. Cette évolution a favorisé la montée des mouvements islamistes qui ont acquis de la popularité en dénonçant ces erreurs. Ces mouvements dont l'idéologie et les actions sont contraires à l'islam sont à l'origine du terrorisme des années noires qui ont fait plus de 150 000 morts. Oui, dans l'ensemble, ses successeurs – à part Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, six mois après son accession au pouvoir - ont dilapidé l'héritage de Boumediène. Abdelaziz Bouteflika, élu président en 1999, a amorcé le redressement.
D'aucuns font le rapprochement entre la personnalité de Boumediène et celle de Bouteflika, alors que des frictions sont apparues durant le règne du premier. Est-ce de nouveau la « boumediénisation » à outrance de la vie politique après un intermède de plus de vingt ans ?
Certes, il y a eu quelques points de désaccord et des frictions entre Boumediène et Bouteflika. Par exemple, ce dernier avait fait observer que, selon les règles diplomatiques, il revenait à Giscard d'Estaing de recevoir Boumediène à Paris, puisque la France avait lancé la première invitation dès 1947. Finalement, Boumediène avait tranché en faveur de la visite estimant que Giscard d'Estaing avait fait un geste de « bonne volonté » en proposant d'aller en Algérie, alors qu'il était surtout ami du roi Hassan II. Ces divergences faisaient partie du jeu et ne portaient pas sur l'essentiel. En effet, la politique étrangère très dynamique a été mise en oeuvre par Boumediène et Bouteflika. Elle a permis à Alger, pour la première fois de son histoire, de nouer des liens jusqu'en Asie, en Amérique latine et au Canada et d'occuper sur la scène internationale une place qui allait bien au-delà de son poids réel. Elle a perdu cette place à la présidence de Chadli Bendjedid et n'a commencé à la retrouver qu'après l'élection de Bouteflika à la présidence en 1999.
Boumediène peut-il encore servir de modèle pour la génération actuelle lorsque l'on sait que le personnel politique qui a servi sous son règne est toujours aux commandes ?
Même s'il a commis des erreurs - quel chef d'Etat n'en a jamais commis ? -, je crois personnellement que Houari Boumediène peut encore servir de modèle sur de nombreux plans, comme nous l'avons vu. Que des membres du personnel politique qui a servi sous son règne soient toujours aux commandes n'enlève rien à son apport. Je retiens en particulier son amour pour l'Algérie et pour le peuple algérien, sa passion de l'Etat, son intégrité, son côté visionnaire. N'oublions pas qu'en avril 1974, il a participé à la Session spéciale de l'Assemblée générale de l'ONU où il a lancé les grandes lignes du Nouvel ordre économique international et proposé un Nouvel ordre politique et un Nouvel ordre culturel, prenant en compte les apports et les besoins des pays en développement. Ces problèmes sont toujours d'actualité !


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