Dans une conjoncture des plus difficiles pour l'économie espagnole, l'une des plus endettées d'Europe – encore que le pire est devant – les plus entreprenants ont compris qu'il faut prospecter ailleurs. Certaines entreprises, de la Galice par exemple frappée de plein fouet par la crise, ont réussi à redresser leur situation en allant s'établir à Oran. Ce n'est pas encore le rush de l'investissement étranger dans le marché algérien, le plus prospecteur de la rive sud de la Méditerranée, mais c'est quelque part un effet d'appel. Une femme enceinte Dans l'autre sens, hormis la visite du chef du patronat, M. Merakchi, qui conduit une délégation d'hommes d'affaires algériens dans le nord de l'Espagne, pour ce même objectif, c'est un rush d'une autre nature qui est en train de se profiler au large des côtes sud de l'Espagne. Avec le retour du beau temps en Méditerranée, telle une hirondelle qui annonce la saison clémente, une «patera» (embarcation de fortune) est parvenue à Santa Pola, près du port d'Alicante : rien d'un scoop puisque l'arrivée de ce moyen de transport utilisé par les harraga en provenance de l'ouest du pays est devenue chose banale depuis l'ouverture de cette route de l'immigration clandestine vers le milieu de l'année 2006. Fait nouveau, cependant, c'est la présence régulière à chaque arrivée soit de femmes enceintes, soit de mineurs. Mardi, à la première heure, la gendarmerie espagnole avait arrêté 12 personnes à bord d'une patera parmi lesquels une femme enceinte, âgée de 28 ans, au moment où ce groupe de harraga tentait la dernière manœuvre pour débarquer clandestinement à la faveur de l'obscurité. En fait, ils étaient déjà dans le radar du Sive, un système ultrasophistiqué de contrôle des côtes qui a fait ses preuves depuis son installation le long de la côte sud, l'année dernière. Pratiquement aucune barque ne parvient à déjouer la vigilance des gardes-côtes depuis la mise en place du Sive. Alicante ! Alicante ! Les 11 passagers de sexe masculin étaient déjà hier programmés pour le retour vers le territoire national, mais la femme, elle, a été admise à l'hôpital en raison de sa grossesse. Voilà le vrai casse-tête du juge espagnol que la loi n'autorise pas à expulser une femme en détresse ni un mineur. C'est donc auprès de ces deux catégories sociales, les plus fragiles, que se tournent les maffias qui organisent ces voyages qui, malheureusement, se terminent par un naufrage en haute mer. Jusqu'à ce jour, aucun cadavre des 11 disparus, en avril dans la même zone maritime, n'a été retrouvé au grand désespoir de leurs familles qui n'arrivent pas à faire leur deuil. Aux portes du consulat d'Alicante, un ex-harrag qui fait la queue pour la énième fois, sans le moindre espoir de pouvoir se faire immatriculer pour ne pas être porteur d'un document justifiant d'une présence légale en Espagne. Dans ces moments d'attente, il lie amitié avec son voisin espagnol qui fait la chaîne pour les visas et, dans la confidence du moment, l'interroge sur les raisons qui le poussent vers le pays «du chômage, de la crise de logement, des coupures d'eau, du couvre-feu et de l'insécurité». Tous les clichés passent et les stéréotypes des années 90 sont étalés sans état d'âme par celui qui se présente comme topographe natif de Tidjelabine qu'il a décidé de quitter «à jamais» pour finir SDF à Alicante. Tidjelabine Le nom de la ville fait sursauter le jeune roumi qui ne lui avait prêté jusque-là qu'une oreille polie. «Tidjelabine ! Mais c'est là que j'y vais, j'y travaille comme chef d'équipe pour OHL (qui construit un tronçon autoroutier dans la région). Justement on a besoin de topographes, d'électriciens et de beaucoup de main-d'œuvre qualifiée comme vous», enchaîne-t-il, alors que son bavard d'ami de compagnon semble avoir avalé sa langue. L'émigré espagnol de Tidjelabine n'a pas eu besoin de lui dire que dans cette localité entre Alger et Boumerdès, il n'y a pas que les embouteillages du mercredi au pied du souk des voitures d'occasion. Il lui fait, par contre, un petit exposé à son tour sur l'eldorado espagnol : plus de 20% du taux de chômage en Europe avec sur les bras plus de 4,5 millions de sans emploi et que beaucoup de SDF comme lui, plus raisonnable, ont choisi par ces moments de crise économique dont Zapatero ne voit pas le bout du tunnel, de retourner au bled «pour ne pas être SDF». Hier, la secrétaire d'Etat espagnole à l'immigration a annoncé que la tendance actuellement est au retour des immigrés vers leur pays d'origine et que 6000 Colombiens ont déjà fui l'eldorado qui fait encore rêver nos harraga.