Les nombreux experts, les journalistes et les diplomates qui se succèdent sur les plateaux des chaînes de télévision dans un débat contradictoire depuis l´assaut sanglant donné par l´armée israélienne contre la Flottille de la Liberté ont tous conclu à l'«isolement international» d´Israël. En un sens, ce constat est vrai dans la mesure où les protestations officielles dans le monde ont été générales ou presque, y compris parmi certains gouvernements de pays occidentaux qui ménagent habituellement l´Etat hébreu. Or, des protestations, aussi officielles soient-elles, même exprimées à travers des communiqués officiels ou par la convocation pour «explications» des ambassadeurs israéliens en poste dans les pays de l´Union européenne si elles ne sont pas suivies de décisions concrètes et à la mesure de la férocité des cas d´agression, ne suffisent pas pour parler d´«isolement». Elles sont même parfois discutables dans leur formulation et dans leur fond. «Acte choquant», «regrets», «usage de la force disproportionné», «acte grave». L´assaut meurtrier n´est jamais présenté comme un «acte de terrorisme d´Etat». Les formules les plus galvaudées du lexique diplomatique ont été sorties pour ne pas donner l´impression de cautionner cet acte flagrant d´agression caractérisée, de surcroît dans les eaux internationales et contre une mission humanitaire internationale. Au fond, cette mission n´était pas destinée à rompre une blocus militaire israélo-égyptien appliqué depuis deux ans à Ghaza. Ses organisateurs savaient l´opération matériellement impossible. Leur objectif était plutôt de rompre le silence complice – criminel même – qui entoure ce crime contre l´humanité. Les formules employées pour se dédouaner par la diplomatie occidentale ne convainquent pas parce qu´elles renvoient à un banal sentiment de circonstances dans la majorité des cas. Pire, elles peuvent légitimement susciter de la déception et, pourquoi pas, de l´indignation – compréhensible – parce que la réaction des pays occidentaux qui ont une responsabilité historique, politique et militaire certaine dans le drame palestinien, et ce jour encore, n´est pas ce minimum que peuvent attendre les Palestiniens des pays qui ont fait de la question du respect des droits de l´homme un axe fondamental de leur diplomatie. Les diplomates israéliens et leurs amis ne se sont pas présentés dans ces débats télévisés comme les représentants d´un Etat criminel qui tire à vue et de sang-froid sur des civils en haute mer et jouit de l´impunité du Conseil de sécurité qui ne condamne pas mais «déplore» l´usage «disproportionné» de la force. C´est un secret de Polichinelle que la position des Nations unies est d´abord celle des Etats-Unis. Israël est donc simplement invité à laisser passer l´orage. L´Etat hébreu ne se fait pas prier pour s´installer confortablement dans le débat actuel. D´ailleurs, le débat est bien réglé. On parle peu du blocus israélo-égyptien et de ses conséquences inhumaines sur la population de Ghaza, presque plus de la colonisation continue des terres arabes de Cisjordanie, pas du tout de l´urgence de la création de l´Etat palestinien. La question centrale est celle-ci : y a-t-il eu bavure en haute mer ou non. Dès lors, c´est la parole du criminel contre celle de sa victime. Et pour pousser plus loin encore le sens du ridicule, c´est au gouvernement israélien que les Etats de l´Union européenne, individuellement, ou séparément, les Nations unies et les Etats-Unis, ont demandé «de faire toute la lumière» sur le comportement de son armée. Concrètement, on demande à l´assassin d´enquêter sur son forfait. Dans ce cas, pourquoi ne pas se contenter du «scoop» en noir et blanc de l´armée israélienne généreusement diffusé à répétition sur toutes les chaînes occidentales ! Et pourquoi non plus ne pas prendre acte des «regrets» (le vocabulaire génial) de Benyamin Netanyahu et classer l´affaire ? Rien de choquant puisqu´on restera dans la continuité depuis 1948 avec les massacres de der Yassine. Dans cette ambiance d´hypocrisie diplomatique et médiatique, les Israéliens jouent sur du velours. Un peu à la manière Jean Marie Le Pen auquel on offre sur un plateau (de TV) l´occasion de se défouler en solo sur le thème de l´immigration, Israël avait son créneau : le Hamas (entendre le Khamas) qui «prend en otage la population de Ghaza». Un mouvement classé «organisation terroriste» sur les listes de l´Union européenne et des Etats-Unis pour avoir pris les armes contre l´occupation étrangère. C´est dans ce lexique que le terrorisme d´Etat d´Israël puise ses plus solides arguments – qui passent très bien en occident – pour justifier l´invasion barbare de Ghaza ou la prise d´assaut meurtrière de la Flottille de Liberté. C´est une fumisterie de croire qu´Israël dont les dirigeants les plus extrémistes, de Netanyahu à Lieberman, sont reçus en amis en Europe et aux Etats-Unis est en situation d´isolement international. Pour des intentions (de bellicisme contre Israël) qu´on lui prête en Occident, l´Iran, lui, l´est parfaitement. Et sur le terrain. Les peuples et les dirigeants de tous les pays qui se sont reconnus dans le sacrifice des pacifistes de cette flottille, eux, sont les vrais amis de la cause palestinienne, et leur indignation ne comporte pas de dose d´hypocrisie diplomatique ou médiatique. Pour être isolé par l´Occident, il faudrait qu´Israël le soit d´abord par le monde arabe.