39 familles (sur 113) vivant dans des chalets depuis fin 1980 aux Deux Bassins, commune de Ben Aknoun, ont été évacuées de force hier dans le cadre d'une opération de recasement de la population occupant des sites précaires. Ces familles ont en fait refusé de quitter les lieux. Elles estiment que le terrain leur appartient, ont saisi la justice pour cela et exigent des autorités de ne rien faire avant que le tribunal ne se prononce. La wilaya, au contraire, a déjà prévu deux projets sur l'assiette : l'extension de la station urbaine et un espace vert. C'était prévisible : la wilaya déléguée de Bouzaréah a évacué de force, hier, des habitants du site des Deux Bassins, commune de commune de Ben Aknoun, dans le cadre d'une nouvelle opération de recasement de la population suivant le programme d'éradication «progressive» de l'habitat précaire, mis en branle par la wilaya en mars dernier. Un important dispositif sécuritaire, comprenant des dizaines de CRS, a été en effet déployé à l'entrée du site avec pour mission d'empêcher toute intrusion dans les lieux après avoir forcé quelques familles récalcitrantes à quitter l'endroit. Les autres policiers et les employés de l'APC donnaient par contre la chasse aux photographes de presse. Il fallait donc photographier en cachette. A l'intérieur du siège de l'APC, les responsables de l'opération, comprenant les élus de Ben Aknoun et les officiels de la wilaya déléguée de Bouzaréah, étaient mis à l'abri de la contestation des jeunes, des cris déchirants de femmes et de simulation d'évanouissement des adultes. Tout cela a été géré par les services de sécurité. «Il y a un ordre d'évacuation, il faut l'exécuter», affirme un cadre de la wilaya déléguée comme pour justifier l'intervention musclée des services de l'ordre. La veille, quelque dix-huit familles au moins étaient déterminées à s'opposer pacifiquement à leur relogement tant que la justice ne s'est pas encore prononcée sur l'affaire qui les oppose, depuis mai dernier, à l'agence foncière de la wilaya autour de la propriété réelle du terrain en question. En tout, 39 familles occupaient «provisoirement» de magnifiques chalets de deux pièces cuisine, avec extensions et dotés de petits jardins, depuis la fin 1980. Auparavant, elles résidaient à Frais Vallon (Oued Koreiche) et la Concorde (Bir Mourad Raïs), avant qu'elles ne soient évacuées, pour utilité publique, dans le cadre de la réalisation de la voie express de Frais Vallon et la première rocade sud d'Alger (Dar El Beida-Zéralda). En 1995, l'APC de Ben Aknoun leur a signé des désistements sur ce terrain, mais les procédures n'ont jamais été terminées avec l'agence foncière en vue de la délivrance des actes de propriété nécessaires à l'obtention des permis de construire. En mai dernier, elles ont donc saisi le tribunal de Bir Mourad Raïs pour que celui-ci exige de l'agence foncière de terminer les procédures d'acquisition. Avec cette nouvelle opération de recasement, l'histoire se répète pour ces 39 familles, à trente années d'intervalle. Le site abrite 113 familles, selon le wali délégué de Bouzaréah, Rouabhi Amar. L'évacuation a commencé samedi à 20h. Elle a duré toute la nuit de samedi et toute la matinée d'hier. La priorité a été accordée aux familles vivant dans les baraques en parpaing dont la construction a été autorisée par les services de l'APC de Ben Aknoun. D'ailleurs, plusieurs employés communaux y résident depuis des années 1990. Ainsi, une centaines de familles ont été recasées dans d'autres cités réparties sur neuf sites, dont Aïn Benian, Tixeraïne, Draria et Zéralda. Reste donc le cas des habitants des chalets, les plus anciens, qui ont été isolés. «Au début, ils nous ont dit que personne ne touchera à nos habitations. A la fin, ils nous ont délogé de force», raconte Rachid, un jeune résident embarqué dans un fourgon cellulaire de la police stationné dans la cour du siège de l'APC mitoyen au site. Rachid n'était pas seul dans le fourgon. D'autres jeunes ont été embarqués avec lui. Devant le refus des occupants des chalets de partir, la police est intervenue à sa manière. Comment ? «Il m'ont appelé pour discuter devant notre chalet de notre cas puis i ls m'ont aussitôt enlevé pour me ramener au fourgon», ajoute-t-il. Huit agents se sont chargés de son «enlèvement». En cours de route, il a été tabassé. Quand nous l'avons rencontré devant le fourgon, il portait des blessures aux coudes, pour avoir été mis à terre, et il avait une chaussure dans un pied et des chaussettes dans l'autre. Il avait peur, mais n'a pas osé pleurer comme beaucoup d'autres personnes. Les jeunes ont été appréhendés parce qu'ils s'étaient opposés au relogement . «On va s'arranger pour que vous changiez d'avis», les a-t-on menacé. Cette menace était finalement un bluff. A 13h, dix jeunes ont quitté le commissariat de police des Asphodèles (Ben Aknoun) après avoir communiqué leurs coordonnées. «Ils ne nous ont rien fait au commissariat», assure-t-on. Pour la wilaya, l'évacuation du site est une affaire non négociable même si la justice a été saisie. Reste donc à discuter des modalités de relogement avec les concernés. Les familles auraient refusé des logements de type F4 à Baraki, assure un cadre de la wilaya déléguée, ce qui se comprend. Vivant aux Deux Bassins depuis 30 ans, elles ont refusé de quitter Ben Aknoun. Un compromis a été finalement trouvé : elles seront relogées dans les communes voisines, à savoir Birkhadem et Draria. «Je leur ai offert des F4. Qu'est-ce qu'elles veulent de plus ?» Ce qu'elle «veulent plus» est connu. Dans chaque opération de relogement, les familles qui vivaient sous le même toit, dans des conditions très éprouvantes, demandent à bénéficier de plusieurs logements à la fois. Ce qui se comprend aussi : on cherche à fuir l'exiguïté une bonne fois pour toute. Pour cela, elles créent des situations de fait accompli au point d'émouvoir les passants. Cela s'est répété à Ben Aknoun. Les femmes n'arrêtaient pas de crier, les hommes rappelaient qu'ils étaient des Algériens à part entière et les jeunes prononçaient des menaces. Mais c'est tout le monde qui assimilait son sort à celui des Palestiniens, le site à Ghaza et désignait publiquement les élus et les responsables de l'opération comme étant les «Israéliens». Un climat de guerre ! Pour revendiquer plusieurs logements pour soi, les parents prétextent une mésentente chez lui, un divorce le vendredi. «Quelqu'un est venu me dire qu'il ne souhaite pas occuper le même toi que son fils parce qu'il aurait peur de le tuer», avoue M. Rouabhi. Le recasement se fait sur la base du recensement de la population, mais le wali délégué n'exclut pas d'éventuelles erreurs dans l'affectation des logements. Par conséquent, les mécontents sont invités à déposer des recours.
Les Deux Bassins : un projet d'utilité publique Bien que le tribunal de Bir Mourad Raïs a été saisi, avec l'opération d'hier, il devient évident que le terrain ne servira jamais d'assiette de construction de logements comme souhaité par les 39 familles évacuées de force. Selon M. Rouabhi, le site sera rasé. A sa place, la wilaya compte réaliser une extension à la station de transport urbain mitoyenne qui est exiguë et qui gêne depuis son ouverture la circulation automobile sur la RN36. En plus de l'extension, il est question d'aménager un espace vert comme cela a été projeté pour les assiettes sur lesquelles ont été implantés les bidonvilles Doudou Mokhtar (Hydra) et Zaâtcha (Sidi M'hamed), évacués dans le cadre du même programme. De plus, les services de l'APC vont quitter leurs bureaux actuels. Le siège revient à la Protection civile et il lui sera rendu. Avant cela, il faut reconstruire le siège de l'APC sur le terrain où se trouvaient les anciens bureaux, à côté de l'entrée du lycée El Mokrani. Les autorités, assure le wali délégué, n'ont pas l'intention de déposséder les familles. Selon lui, l'affaire sera traitée par la justice et si le tribunal reconnaît aux plaignants le statut de propriétaires, ils seront expropriés pour cause d'utilité publique et indemnisés. Les désormais anciens habitants des Deux Bassins n'ont jamais cru à cette histoire d'extension de la gare et d'espace vert. Pour eux, ce sont les élus qui allaient accaparer l'assiette en vue d'y construire de somptueuses villas ! Des employés de l'APC ont reconnu un déficit de communication qui a fait que c'est par la rumeur que la population aurait été informée de la nature du projet inscrit. C'est ce dysfonctionnement qui a mis les familles sur la défensive. «C'est un cumul de 30 ans», résume un cadre de la wilaya déléguée.