Le roi Mohammed VI a nommé, il y a plus de six mois, Ahmed Ould Souilem, le plus récent des trois transfuges connus du Front Polisario, comme nouvel ambassadeur «marocain» à Madrid. Il remplace à ce poste, le plus important pour le Maroc avec celui de Paris et de Washington, Omar Azziman qui a été chargé par le souverain alaouite de présider la cellule de préparation du projet de régionalisation pour le Sahara occidental, qu'il avait annoncé, précipitamment, en janvier dernier. L'objectif était visiblement d'occulter le revers diplomatique subi à la suite de la retentissante grève de la faim de 33 jours entamée en novembre 2009 par Aminatou Haider. Le «choix du roi» Ahmed Souilem, une année plus tôt, voyageait avec un passeport algérien à travers le monde, et surtout en Espagne, où il avait fait faux bond à ses compagnons de lutte contre l'occupation marocaine du territoire sahraoui, avec lesquels il était en brouille pour son «incompétence diplomatique». Il a été reçu, fin juillet 2009, avec tous les égards à Rabat où l'on s'occupait à préparer la fête du Trône. De l'aéroport, il est aussitôt au Palais pour allégeance roi Mohammed VI qui le désignera, moins de trois mois plus tard, officiellement ambassadeur à Madrid. Le rêve des plus chevronnés diplomates marocains. Sa mission est évidente : elle s'inscrit en droite ligne dans l'offensive diplomatique décidée par le Maroc pour tenter de récupérer le terrain perdu en Espagne à la suite du succès de l'action d'Aminatou Haider et soigner l'image du royaume, ternie par les multiples accusations de violations des droits de l'homme dans l'ancienne colonie espagnole. Le «choix du roi» a, pour le moins, indisposé le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, pourtant connu pour ménager Rabat en toutes circonstances. Madrid avait déployé, sous Moratinos, des efforts considérables pour faire admettre à ses pairs des «27» la rénovation, en 2008, de l'accord de pêche avec Rabat, suivi immédiatement de la conclusion de l'accord inédit sur le «statut avancé» et d'un sommet euro-marocain, le 7 mars dernier à Grenade. L'Espagne, on le sait, est pointilleuse sur la qualité de l'interlocuteur qui doit être un diplomate de carrière reconnu, comme Abdesslam Barak ou, après lui, un homme politique de haut rang, comme Omar Azziman, ancien ministre de la Justice. Le temps mis par la diplomatie espagnole pour donner son agrément à la candidature de l'ex-Sahraoui, après trois mois d'hésitation, traduit en soi le malaise ressenti à Madrid par la nomination de ce personnage controversé. Dans l'espoir de faire revenir le roi marocain sur sa décision, le gouvernement espagnol a élevé encore le niveau de sa représentation diplomatique dans la capitale marocaine en choisissant l'ancien secrétaire d'Etat auprès de l'Union européenne, de 2004 à 2008, Alberto Navarro, actuellement en poste à Lisbonne, comme nouvel ambassadeur d'Espagne à Rabat. Le «dossier sahraoui» Le roi Mohammed VI ignore délibérément le message de Zapatero et, mieux, tarde depuis à donner son agrément au nouvel ambassadeur d'Espagne. Les milieux diplomatiques espagnols s'indignent, en silence, de l'attitude du monarque dont le seul souci est, en fait, d'utiliser le transfuge du Front Polisario aux fins exclusives de promouvoir les thèses marocaines sur le Sahara occidental. Pas, au grand désespoir, du ministère espagnol des Affaires étrangères et de la Coopération, les relations économiques et les échanges commerciaux, la lutte contre le trafic de drogue et l'immigration clandestine qui sont des dossiers «prioritaires» qui empoisonnent, avec la question de Ceuta et Melilla, les relations entre les deux pays. Mohammed VI fait dans la «provocation», confient des «sources diplomatiques» espagnoles aux médias. Les «provocations» marocaines ont-elles, d'ailleurs, connu réellement une pause depuis l'arrivée des socialistes au pouvoir, en avril 2004, deux ans après le conflit de Perejil ? En début de semaine, le quotidien La Razón annonçait à la une, sur fond d'une carte satellite de la région de Ceuta et Melilla, que le roi alaouite avait interdit aux hélicoptères espagnols l'accès de l'espace aérien de la zone où mouillait son bateau de plaisance, à bord duquel il passait ses vacances. Les autorités espagnoles n'ignorent pas le vrai sens du message royal qui vise, en réalité, moins à réclamer un droit à des vacances paisibles, qu'à rappeler une nouvelle fois la souveraineté de la monarchie sur les deux présides que le Maroc qualifie de «villes occupées», mais garde le silence. «Nouvelle-éternelle provocation»? Sans doute ! Malaise à Madrid La classe politique espagnole, elle, est plutôt exaspérée par l'absence de fermeté du gouvernement socialiste, dont les jours sont comptés dans cette conjoncture de crise économique durable. Voilà le secret des provocations à répétition du Maroc, qui lance en fait message sur message au futur gouvernement du Parti populaire qui est assuré, par tous les sondages, de remporter les élections générales prévues au printemps 2012. Le PP, à la différence du PSOE, à une meilleure position sur le Sahara et ne caresse pas la monarchie marocaine dans le sens du poil s'agissant de Ceuta, de Melilla ou même du rocher de Perejil. Des dossiers délicats. A haut risque pour un «diplomate» mal préparé aux grandes affaires sur lesquelles butent les diplomates les plus chevronnés. Voilà le fardeau diplomatique qui attend Ahmed Souilem, dont le maintien à la tête de l'ambassade marocaine est déjà perçu par certains analystes à Madrid comme le premier pas d'une crise diplomatique hispano-marocaine programmée à Rabat. Avant Mohammed VI, le défunt Hassan II avait «bombardé» deux ex-dirigeants sahraouis qui avaient choisi de «rallier la mère-patrie» à de hauts postes dans l'administration locale marocaine, au grand dam des fonctionnaires de carrière marocains devenus leurs subalternes. Pas à l'étranger où les us et usages diplomatiques sont de rigueur. Hakim Brahim et les autres Le premier chef de la diplomatie sahraouie, Hakim Brahim, relégué au poste d'ambassadeur en 1980 par la nouvelle jeune direction politique issue du Congrès, puis son collègue de l'Intérieur Omar Hadrani, mis sur la touche pour ses dépassements envers les prisonniers marocains, sont bien installés dans le confort des institutions marocaines. Mais le ridicule dans lequel le défunt roi n'a pas osé faire – confier à ces transfuges le soin de soigner l'image ternie du Maroc à l'étranger ou de plaider l'indéfendable cause de l'occupation du territoire sahraoui –, Mohammed VI vient de le faire.