Il est 18h52. Le prestigieux car-ferry Tarek Ibn Ziyad accoste le quai du port d'Alger avec à son bord plus de 2000 passagers et quelque 400 véhicules. Les regards des voyageurs sont braqués sur la capitale qu'ils contemplent avec amour et nostalgie en dépit des sept heures de retard enregistrées. Une fois les passerelles mises en place et les portes ouvertes, les premiers éléments de la police et des douanes pénètrent à l'intérieur du bateau pour contrôler si tout est en règle. Quelques minutes après, une file de voyageurs traverse la passerelle par les deux portes ouvertes du bateau pour regagner le bâtiment à l'intérieur du port. «Y a-t-il un porteur ?», demande une vieille dame courbée par le poids des bagages qu'elle tenait. Personne ne répond. La dame continue son chemin en silence. Quelques mètres plus loin, elle est abordée par un porteur qui la soulagera de ses bagages. Une fraction de seconde passe, une dame vient et demande à l'agent douanier comment elle doit faire pour récupérer ses bagages. «Nous sommes trois femmes, nous avons ramené beaucoup de bagages que nous ne pouvons pas sortir toutes seules, comment allons-nous faire ?», lui demande-t-elle. Un agent l'oriente et lui demande de ramener ses bagages à l'extérieur du bateau où elle trouvera quelqu'un qui l'aidera à les porter. «Mais c'est trop lourd, je ne peux pas porter ces grandes valises toute seule. Permettez-moi de rentrer ce chariot qui nous aidera à le faire.» Le douanier l'autorise à rentrer le chariot, elle sort une demi-heure plus tard avec ses compagnes en poussant ce chariot chargé de bagages. «Le voyage a été fatigant. Nous avons eu sept heures de retard. Vous imaginez l'attente et le stress que nous avons accumulés avant d'embarquer. Là, j'arrive, je ne trouve pas de porteur. Je suis obligée de me débrouiller toute seule», nous raconte-t-elle. Où sont passés les porteurs ? Des femmes, des enfants et des personnes âgées étaient à bord du navire. Tout le monde est contraint de prendre ses bagages jusqu'à la sortie dans l'espoir de trouver une aide. A l'autre bout du passage entre le bateau et le quai, un homme d'un certain âge s'est mis à genou pour réparer son chariot qui s'est desserré en raison de la charge. «J'ai ramené ce chariot de Marseille. Je le traîne là où je vais car j'ai beaucoup de bagages. Je suis un habitué du bateau, je sais qu'il n'y a personne pour aider dans ces circonstances. Le voyage se passe de plus en plus mal pour moi. Je ne supporte plus ces carences», nous a-t-il avoué. Les porteurs sont interdits de pénétrer dans le port depuis quatre mois. Ils attendent à l'extérieur l'arrivée du bateau et jusqu'à ce que les passagers ramènent leurs bagages jusqu'à la sortie. «Nous sommes neuf porteurs. Cette décision nous interdisant d'aller dans le bateau a été prise il y a quatre mois. Nous ne savons pas quelles en sont les raisons. En tout cas, voilà le résultat, les personnes âgées, les malades et les femmes enceintes souffrent le martyre pour faire sortir leurs bagages alors que nous sommes là en train d'attendre de travailler», nous dira un porteur. Neuf porteurs est insuffisant pour répondre à la demande de quelque 2000 passagers par bateau. «Il y en a d'autres qui sont à l'extérieur. Il n'y a plus de travail, c'est pour cela qu'ils ne viennent plus», a-t-il ajouté. «Nous sommes des travailleurs du port. Nous ne sommes pas payés, c'est grâce aux pourboires des passagers que nous subvenons à nos besoins», a-t-il encore précisé. Les agents des douanes et de police sont sur place pour contrôler la sortie des passagers. «Nous sommes tenus de contrôler tout : les bagages et les comportements des passagers jusqu'au scanner», nous dira un douanier. Entre temps, une autre équipe supervise la sortie des véhicules en direction du terminal des arrivées des véhicules. Il est 19h15, le terminal est plein. Les 400 conducteurs de véhicules attendus ont pris place et attendent d'accomplir les formalités douanières et policières avant d'arriver aux bureaux des assurances. Commission des émigrés : la grande inconnue Les véhicules sont organisés en trois files, avec un double poste de la police des frontières (PAF) au niveau de chaque file. Une fois stationnés, leurs passagers descendent et se présentent au poste de police. Ils déposent leurs papiers pour obtenir le laissez-passer. «C'est la deuxième fois que je voyage par bateau. En dehors du retard enregistré à la gare maritime de Marseille, je trouve que les formalités sont encore lentes. Je compare cela à ce qu'on a vu en Angleterre et en France. C'est encore l'attente pour nous», nous dira une femme qui vient d'accomplir les formalités policières. Cette dame affirme ne pas connaître l'existence de la commission qui traite les doléances des membres de la communauté algérienne installée à l'étranger. «Si jamais je rencontre un des responsables, je lui demanderai d'accélérer les démarches en doublant l'effectif ou en créant de nouveaux postes. C'est à eux de voir ce qu'il faut faire pour éviter aux gens de rester des heures avant de quitter le port», a-t-elle ajouté. «C'est la cinquième fois que je voyage par bateau. Je connais bien l'ambiance. J'ai malheureusement beaucoup de critiques à faire», nous dira un jeune homme accompagné de sa famille. L'aspect esthétique et l'aménagement des lieux sont, selon ce voyageur, des éléments fondamentaux qu'il faut carrément revoir au niveau du port d'Alger. «Le terminal des véhicules n'est pas un endroit convivial. Il est mal aménagé et exigu pour faire face à la forte demande exprimée», a-t-il souligné. Le travail accompli par les éléments des douanes et de police est extraordinaire. «Ces éléments font ce qu'ils peuvent pour faciliter la tâche aux voyageurs. Ils travaillent dans des conditions lamentables mais font des efforts pour assurer le maximum. Il faut dire qu'il y a trop d'attente et une multitude de contrôles qu'il faut effectuer pour quitter le port. chaque équipe demande les mêmes renseignements que l'équipe précédente. Les raisons sécuritaires sont un argument valable mais il faut trouver une formule pour regrouper tous les renseignements sans trop agacer les passagers», a-t-il encore ajouté. «Là, je fais la queue pour avoir le laissez-passer. Il faut présenter le passeport et les documents de la voiture que je dois encore présenter aux douanes et l'assurance, alors qu'ailleurs, il suffit de présenter une pièce d'identité pour que tout soit enregistré», a-t-il encore précisé. L'attente et la complication des démarches est, selon ce passager, à l'origine de l'énervement des gens. «A chaque poste, on nous demande la même chose. Ça m'arrive de piquer une crise de nerfs à force de répéter et de perdre du temps», a-t-il encore ajouté. Ce passager comme beaucoup d'autres n'est pas au courant de l'installation d'une commission pour les émigrés. «Non, je n'en ai jamais entendu parler. De toutes les manières, cela ne sert à rien du tout. Les commissions travaillent dans les bureaux alors que les gens souffrent dehors. Il faut que ça soit suivi d'effet sur le terrain pour que ça devienne utile», a-t-il estimé. Une cinquantaine d'agents policiers et douaniers sont à pied d'œuvre pour assurer une organisation dans ce hall géant et accélérer les démarches. Le klaxon, un véritable casse-tête Une demi-heure est passée, les trois files d'attente se sont transformées en cinq rangées. «Nous avons ajouté deux nouvelles files pour les familles ayant des bébés et les personnes. Ça permet de faire plus vite», nous dira un agent policier. Le contrôle policier est suivi d'un contrôle des douanes pour la délivrance du titre de passage. «La majorité des voyageurs ont obtenu cette carte sur le bateau. Nous avons ouvert un guichet pour faciliter les choses et faire gagner du temps aux passagers. Ici, nous nous contentons de contrôler les bagages uniquement. La délivrance du titre peut se faire pour les retardataires», a souligné un agent des douanes. «Cela fait huit ans que je voyage par bateau. La dernière fois que nous sommes venus, les choses étaient un peu plus compliquées. Je constate cette année une amélioration dans les services, c'est en tout cas mieux. Cela fait moins d'une heure que nous sommes arrivés, il ne reste que le contrôle des bagages et on part. C'est super. Les derniers sont un peu stressés mais c'est normal d'attendre puisqu'on est nombreux», nous dira un jeune, la vingtaine. A 20h05, la deuxième partie des véhicules en attente actionne les klaxons, signifiant aux agents d'accélérer les démarches. Ce bruit insupportable en ces lieux n'a heureusement pas duré plus de 10 minutes. «D'habitude, ils klaxonnent une heure durant. C'est encore plus pénible quand il y a 800 voitures à contrôler», a affirmé un travailleur du port. Les guichets de l'assurance automobile sont déserts, ce jeudi soir. Plus d'une heure après l'arrivée du bateau, les deux guichets de la SAA et de la CRMA assurance automobile n'ont encore reçu aucun passager. Une situation inhabituelle. «L'assurance se fait sur le bateau. Cela est en cours depuis plusieurs années. Ce qui fait que les gens accomplissent cette formalité sur le navire et évitent de faire la queue au port», nous explique l'agent assureur de la SAA. «Il faut s'assurer pendant un mois pour 2480 DA, faire le dédouanement et refaire l'assurance de six mois tous risques», a-t-il expliqué à un client qui vient de se présenter à son bureau. Notre interlocuteur dira que plusieurs compagnies opèrent cette formalité à bord, mais cette année, il ne reste que la Caat. «Nous réalisons en moyenne plus de 200 contrats par jour. Nous travaillons en permanence jusqu'à ce que le dernier véhicule quitte le port», a-t-il ajouté. «Beaucoup de passagers croient qu'ils peuvent faire cette assurance à l'extérieur en pensant que cela revient moins cher. Cela est faux car l'assurance frontière est obligatoire et elle ne peut être faite que dans ce guichet», a encore ajouté l'assureur de la SAA. Ghodbal Hadj Adel, agent assureur de la CRMA, précise que le travail est plus dense à l'arrivée d'un bateau français. «Les compagnies d'assurance algériennes ne sont pas autorisées à travailler à bord de ces bateaux, donc les gens sont obligés de s'acquitter de cette assurance au sol», a-t-il expliqué. Il souligne qu'en plus de cela, il y a aussi cette obligation de renouvellement qui ne peut être faite qu'au niveau de ce même guichet. «Nous concluons une trentaine de contrats lors de l'arrivée d'un navire algérien et nous dépassons les 300 lorsque c'est un bateau français», a-t-il ajouté.