Haut lieu de la prostitution, du crime et du commerce de la drogue, le bidonville El Djazira, créé au sein du quartier Rabia Tahar (commune de Bab Ezzouar) au début des années 1990, est le dernier site inscrit à l'évacuation par la wilaya à l'occasion d'une opération de recasement de la population commencée jeudi dernier à Bir Mourad Raïs. Le recasement des 270 familles et la démolition des baraques de ce bidonville ont été lancés hier matin. Les habitants de la cité Rabia Tahar, un des nombreux quartiers du centre-ville de Bab Ezzouar, peuvent prétendre maintenant au calme après plus de quinze ans de souffrances quotidiennes vécues à leur corps défendant, fruit de leur passivité. Le mal a été provoqué par la présence d'un immense bidonville qui s'était développé, à l'indifférence générale, au milieu des bâtiments et produisant des criminels, des commerçants et consommateurs de drogues, mais surtout des professionnels de la prostitution. El Djazira était pour le voisinage ce que le cancer est pour le corps humain : au risque d'y laisser sa vie, l'ablation reste la seule solution possible. Pour éviter le fait accompli, l'opération d'ablation commencé hier matin. Elle court toujours. Son succès dépend de la mobilisation des moyens matériels et humains. Après le relogement, samedi et dimanche, des gens de Sonatro (316 familles) et de Fontaine Fraîche (195 familles), de la commune d'Oued Koreiche, la wilaya a en effet mobilisé tous les moyens disponibles au niveau de la commune de Bab Ezzouar. La mission était de faire évacuer le fameux site El Djazira. Ici, les autorités locales ont officiellement recensé 270 familles à reloger. La majorité des familles vivaient dans des baraques en parpaing collées les unes aux autres, parfois séparées par une série de couloirs longs et étroits. Hier, vers 11h, celles-ci étaient vides de leurs occupants. Il ne restait que quelques personnes qui attendaient le retour des camions afin de rejoindre les nouvelles cités d'accueil. La population qui n'habite pas les baraques occupe trois bâtiments laissés en chantier au début des années 1990, suite à l'arrêt du chantier. La construction des deux premiers bâtiments, d'une consistance de R+6, est presque achevée, alors que les travaux de réalisation du troisième ont été suspendus au niveau du rez-de-chaussée. Ces familles étaient toujours sur place hier en début d'après-midi. «Nous avons commencé par évacuer les baraques. Celles-ci seront rasées pour permettre aux camions d'aller jusqu'aux bâtiments», indique un chef d'équipe de l'établissement de wilaya Edeval, dont le personnel a été mobilisé à cette occasion. Les premières masures vidées étaient justement celles qui ont été construites autour des deux bâtiments. Après leur évacuation, elles étaient tout de suite démolies de façon à créer un passage. Contrairement à la cadence de travail observée à Sonatro et Fontaine fraîche, où les équipes mobilisées s'étaient données à fond à l'ouvrage, l'opération d'éradication du site El Djazira progressait à pas de tortue. Renseignements pris, il s'est avéré que ce sont les ouvriers manutentionnaires qui sont intervenus dans les deux sites d'Oued Koreiche qui étaient affectés ensuite à Bab Ezzouar. «Nous sommes mobilisés depuis samedi après-midi», assuraient plusieurs agents des établissements Edeval et Asrout. Les camions destinés au transport des familles vers leurs nouveaux lieux de résidence se faisaient rares. L'accès principal à la cité a été bloqué par la police. De longues files de voitures s'étaient formées dans les voies environnantes, notamment tout au long de l'université Houari Boumediene mitoyenne au quartier. La congestion de la circulation automobile a joué en défaveur des organisateurs du transfert de la population d'«El Djazira. Ceci a permis aux agents de se reposer. Au début, une baraque Les deux bâtiments qui restent à évacuer sont d'une laideur repoussante. Dès l'entrée principale, des odeurs nauséabondes remontant des caves vous coupent la respiration. Curieusement, même au 6e étage, on sent toujours ces odeurs écœurantes. Dès le premier étage, ce qui attire l'attention dans les appartements, c'est l'absence de portes ! Les accès sont cachés avec des…rideaux ! Et cela a duré presque vingt ans ! «On se disait que nous serons relogés d'un jour à l'autre, alors personne n'a voulu engager des travaux d'aménagement», prétexte une résidente. De la «porte», on voit les meubles rassemblés dans le salon ; les familles étant restées dans les escaliers, attendant le relogement promis pour l'après-midi. En attendant, elles discutent du problème de l'exiguïté des logements promis par la wilaya en échange de leurs misérables appartements non finis. «Ma voisine vit avec dix-sept autres personnes dans le même appartement. Ils sont donc dix-huit. Ils vont lui donner un F3 ?» s'interroge-t-on. Une autre femme rebondit sur le cas de familles aisées vivant dans El Djazira uniquement pour prétendre à un logement de l'Etat. Parmi les noms des personnes citées, on croise de riches commerçants et des propriétaires de villas. Les gens des bâtiments ne divaguent pas. Les autorités ont eu déjà à démasquer ce type de demandeurs de toit sans scrupule dans les précédentes opérations de recasement. Rien de nouveau, donc. Il reste que l'existence de ce bidonville au milieu des bâtiments est le produit d'un désintéressement total des riverains et de l'Etat qui en étaient les principales victimes. «Je me souviens, comme aujourd'hui, quand la première baraque a été installée dans le quartier. Nous avons saisi les services de sécurité pour évacuer les occupants, mais ils ne sont jamais intervenus. De jour en jour, plusieurs autres baraques sont venues s'ajouter à la première. C'est comme cela qu'est né El Djazira qui nous a empoisonné la vie pendant longtemps», se rappelle un boutiquier. Pourquoi les résidents ne se sont-ils pas opposés à la constitution des baraques ? Silence.