Comme dans toutes les sociétés, en Algérie, l'attitude par rapport au travail est liée directement à une liste de conditions sociales, notamment le contexte socioprofessionnel et culturel, la période historique, l'âge, le sexe, le cocon dans lequel on évolue…» Ce sont là les propos de Musette Saïb, sociologue au Centre de recherches en économie appliquée et développement (Cread) et spécialiste de l'emploi, du jeune et de la migration. La valeur du travail, selon M. Musette, ne correspond pas à un seul paramètre. «Bien qu'on n'ait pas encore fait d'étude sociologique proprement dite en Algérie, à propos du comportement du travailleur algérien, on a pu faire un classement à travers lequel nous sommes arrivés à une pluralité de valeurs de travail et non à une seule», a-t-il expliqué. Illustrant ces propos, il a cité comme exemple la motivation professionnelle du jeune employé qui s'atténue à travers l'âge, l'aptitude à se consacrer entièrement au travail que la femme perd dès qu'elle change d'introduction sociale (mariage, enfantement, etc.) et l'apprentissage des valeurs sociales que l'on transmet de père en fils. A propos de ce dernier exemple, notre interlocuteur estime que l'éducation est très importante dans ce cas de figure. Le travail est également lié au fonds «culturel et cultuel», dans le sens où chacun «cultive une certaine vision du travail» fondée sur ce qui a été acquis comme culture et éducation ainsi que sur la religion transmise : «Le culte». Dans les pays musulmans comme l'Algérie, en effet, «le travail est une prière». «L'Islam incite à travailler dur et sérieusement pour légitimer le rendement.» Il continue sur la même lancée, évoquant la communauté des Mozabites, célèbres pour leur persévérance, leur énergie et leur volonté dans le travail. «Un jour, un jeune mozabite a quitté son poste de travail pour ramasser un billet d'argent égaré. Outré par le geste, le père l'incite à remettre le billet par terre et à regagner son poste, lui expliquant qu'il est inadmissible de préférer le gain facile au gagne-pain légitime.» Une anecdote très révélatrice, à travers laquelle notre sociologue veut ôter de nos mentalités cette idée véhiculée par la société, qui taxe le travailleur algérien d'un incapable. «Il faut arrêter de le taxer de paresseux. C'est bel et bien un stéréotype qui n'est pas fondé et qui ne fait que le dévaloriser», s'est-il exprimé. «Le travail doit correspondre à sa qualification» La valeur du travail est liée également, au paramètre de la qualification, selon notre sociologue. Etant un spécialiste de l'emploi et du jeune, M. Musette avance que c'est le système actuel qui dévalorise les diplômes. Il est très courant de voir, dans notre société, selon notre interlocuteur, des employés dénigrer leur poste et travailler sans grande conviction. C'est le cas de beaucoup de gens qui ne travaillent pas dans leur spécialité. «Un sociologue, un historien ou un médecin de formation qui ne travaille pas dans sa branche est souvent frustré de ne pouvoir faire profiter les autres de ce qu'il a appris. Car, son travail ne répond pas aux exigences professionnelles, notamment le diplôme et l'expérience.» La qualification, selon M. Musette, est l'essence même de l'amour du travail. Il est très courant de voir un ingénieur travailler comme secrétaire, un diplômé comme chauffeur et un technicien comme agent d'hygiène. Ces employés se sentiraient, donc, dévalorisés par ce que leur offre la société. «‘'Ce nif'' placé au sommet des valeurs du travail dans notre société actuelle est à l'origine de beaucoup de déficiences dans le monde du travail.» «Pourtant, ces métiers ont évolué avec le temps, dans le sens où, contrairement à jadis, les employeurs exigent des conditions de qualification», souligne notre sociologue, développant qu'on exige aujourd'hui la maîtrise de l'outil informatique et de la langue française pour la standardiste et on forme l'agent de sécurité, à titre d'exemple. Sans parler de la modernisation des moyens et du confort du cadre du travail. «Il n'y a qu'à voir les outils de nettoyage remplacés par le balai, utilisé par les agents d'hygiène.» Une manière, pour notre sociologue, de dire que les valeurs du travail ne cessent d'évoluer à travers les époques. Le point critiquable à ce propos, en outre, réside, selon lui, dans le fait que la formation dans notre système éducatif offre un diplôme qui n'est pas forcément une qualification. «La logique veut que l'université forme et qualifie. Or, ce n'est pas le cas en Algérie. Ce qui engendre le problème de l'incompétence. Il faut des recyclages après les «acquis» qui facilitent et activent l'adaptation du futur employé. Une adaptation qui dépend des conditions contextuelles et socioculturelles qui définissent l'attitude de chaque travailleur. D'où cette «diversité» des valeurs du travail.