A vingt-huit ans, Krimo n'a jamais mis les pieds à Blida. Pourtant, ce n'est pas le bout du monde pour quelqu'un qui habite à Alger. Une cinquantaine de kilomètres à peine, des raisons et des occasions d'y aller à la pelle, ainsi que quelques charmes réels ou mythiques attribués à la ville auraient pu l'attirer un jour dans la capitale de la Mitidja. Mais pour plein de raisons plus ou moins obscures, Krimo n'y a jamais été. D'abord le snobisme du petit algérois convaincu qu'il n'a rien à faire en dehors de la capitale, déjà trop petite à ses yeux pour s'aventurer dans un petit bled qui, de toute façon, n'a pas grand-chose à lui apprendre. Pour Krimo et tous ceux qui partagent sa «philosophie», on ne va pas chercher autre chose quand on a le meilleur, même si au fond de soi-même, on sait que c'est de «moins mauvais» qu'il s'agit. Krimo n'a jamais été à Blida aussi parce que la nature de ses attraits, ce n'est pas vraiment ce qu'il aurait cherché dans une autre ville que la sienne. Les roses, il connaît et c'est trop insuffisant pour le faire bouger. Les beaux quartiers propres et paisibles, ce n'est pas vraiment sa passion et le vieux souk parfumé de menthe et de fleurs d'oranger, ça ne le change pas de ce qu'il connaît déjà. Krimo est plutôt en quête de «mouvement». Il rêve de Londres, d'Amsterdam ou de New York. Des cités en perpétuels enfièvrements, des espaces de folles palpitations où la vie va à cent à l'heure, sans accorder de répit. C'est entre autres pour cela que Krimo a une sainte horreur de la léthargie qui s'abat sur son monde pendant le mois de ramadhan. Déjà que sa ville n'est pas très animée le reste de l'année, il supporte difficilement la mortelle inertie et la fatigue des siens, surtout qu'elle cache souvent une fausse dévotion. Et ce ne sont pas les sorties ennuyeuses à mourir du soir, les quelques spectacles où on fait semblant de s'amuser et les cafés masculins pluriels où on bat le carton jusqu'à l'aube qui vont le faire changer d'avis. Mais hier, Krimo a décidé d'aller à Blida. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais il va y aller. Pourtant, Krimo n'est pas l'archétype du fou de foot, ni du patriote zélé qui va s'enflammer pour un match. Il va seulement voir Blida sans passer par Bab Essebt, il ne verra pas les roses, la route du stade est à distance respectable des villas cossues. Il ira juste voir Blida dans une soirée volée aux silences mortels et aux fatigues feintes. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir