Le projet de criminalisation du colonialisme ne voit toujours pas le bout du tunnel. La dernière tentative visant à porter le projet et faire aboutir son adoption a été récemment prise par le Parlement. Une énième initiative qui a connu le même sort que trois autres projets présentés auparavant. Dans cet entretien, le président de la fondation 8 Mai 45, Kheireddine Boukhrissa, nous rappelle que le projet, qui a pour objectif de faire reconnaître par la France ses crimes commis durant la période coloniale, est une revendication populaire que sa fondation défend et continue de défendre avec tous les moyens existants. Tout en rappelant le court parcours qu'a connu ce projet depuis sa naissance, l'interviewé insiste sur l'importance d'un tel projet dans les domaines historique, politique, diplomatique et autres. Il regrette le mutisme observé par les parlementaires et les membres de l'Exécutif et surtout l'absence de courage politique pour mener à terme cette mission et ce devoir historique. Le Temps d'Algérie : La loi criminalisant le colonialisme n'est pas un projet récemment né. Pourriez-vous nous rappeler le parcours de cette initiative ? Kheireddine Boukhrissa : Cette loi a été initiée la première fois par la fondation du 8 mai 1945 qui a rédigé le premier texte de loi en 1990. Ce texte a été publié à Révolution Africaine n°1402 du 10 au 16 juin 1991, puis réédité par El Moudjahid dans son numéro 41 du 9 au 15 juin 1999 avant de paraître dans El Manchar la même année où la fondation a fait un exposé des motifs pour expliquer à l'opinion publique les raisons ayant poussé cette fondation au lancement de ce projet de loi composé de 13 articles. Un rappel a été fait au quotidien El Watan dans un article publié le 7 juillet 2005 par Youcef Ferhi intitulé «El Moufid». Puis, les choses n'ont pas beaucoup avancé vu que la fondation avait pour objectif de communiquer avec l'opinion et avoir l'adhésion des forces populaires à cette nouvelle démarche. La deuxième initiative visant à relancer le projet a émané de Ferad Mohamed Arezki, qui était à l'époque militant et député du FFS. Sur initiative personnelle, M. Ferad a déposé ce projet de loi à l'APN en 2001 mais sans suite. En 2005, le parti El Islah a reconduit une nouvelle tentative en déposant le même projet au bureau de l'APN. Une autre initiative qui n'a eu aucune suite. Je tiens à faire ce rappel des événements pour éviter tout amalgame sur l'origine de la loi et de ses initiateurs. Le projet de loi est très vieux. Il est né il y a plus de 20 ans, c'est-à-dire que son élaboration n'a pas eu comme objectif de répondre à la loi française du 23 février. C'est une revendication légitime du peuple. Quels ont été les points divergents dans les différentes propositions soumises depuis 1990 ? Ce sont des textes dont le contenu est très proche et qui visent à pousser la France à faire connaître ses crimes et à juger les tortionnaires. Le projet est réapparu en 2009 et a été déposé à l'APN. Comment se sont passées les choses ? Ce pas a été franchi par Ahmed Bensaid, président de l'instance algérienne de lutte contre la pensée coloniale, qui a eu des discussions avec des enfants de chouhada dont Moussa Abdi lui-même, député et fils de chahid, qui a eu le courage de prendre le projet de d'assumer la responsabilité de le transmettre au nom de la société civile au bureau de l'APN. C'est un pas très courageux. Le député a réussi également à faire adhérer 123 députés à l'initiative. Le FLN a essayé de récupérer ce projet à son compte, d'où l'abstention de plusieurs partis de s'allier à la proposition. C'est à ce moment-là que la fondation du 8 mai a réagi et donné ses précisions, histoire de remettre les pendules à l'heure et annoncer la propriété du projet dans la transparence totale. J'ai précisé dans un communiqué rendu public à cette époque que l'initiative n'était pas partisane mais une revendication populaire qui émane de toutes les personnes touchées par les crimes coloniaux. La première conséquence de cette étape cruciale a été l'élimination de M. Abdi du conseil national du FLN lors de son dernier congrès. Mais le plus important a été fait puisque l'initiative a été déposée et adoptée par le bureau de l'APN comme proposition de loi. Ce qui est un pas gigantesque pour nous. Que s'est-il passé après ? La proposition de loi a été transmise au gouvernement qui n'a toujours pas donné son avis sur la question. L'absence de réponse ne bloque pas la loi. Bien au contraire, elle la renforce et donne toutes les prérogatives au parlement de prendre toutes les initiatives possibles et nécessaires pour faire aboutir ce projet. Ainsi, l'article 121 de la Constitution et l'article 25 de la loi organique donnent toute latitude au président de l'APN de déposer ce projet à la commission juridique pour examen. Là, je me demande pourquoi Abdelaziz Ziari ne veut pas assumer cette responsabilité et faire ce geste historique. Qu'en est-il de la lettre que vous allez adresser aux parlementaires ? Je vais les interpeller et secouer leur conscience sur l'importance de relancer cette initiative. Ce sont des élus du peuple qui ont pour mission de défendre les revendications populaires. Ils doivent faire cet effort s'ils veulent que les électeurs croient en eux. Selon vous, pourquoi ne veut-on pas passer cette loi ? Si je m'exprime au nom de la population qui attend toujours la promulgation de cette loi, et j'espère avoir tort, nos gouvernants ont des intérêts avec les français et ont peur de les mettre en colère en adoptant une loi de cette dimension. Ce même peuple lance aussi l'hypothèse selon laquelle l'Algérie n'a toujours pas eu son indépendance alors que d'autres disent que nous sommes, à l'instar des autres pays d'Afrique, annexés à la France. Sinon, comment expliquer qu'une revendication légitime ne trouve pas un soutien de la part de nos dirigeants au moment où la France malmène les algériens à travers l'affaire du diplomate Hassani, la question des moines de Tibhirine en accusant l'armée algérienne, les gestes de xénophobie et de racisme qui font des victimes algériennes tous les jours, la loi sur le respect des harkis, l'accès interdit à nos archives qu'après 70 ans, les fausses indemnisations des essais nucléaires et la menace de destitution de la nationalité. Face à tout cela, nos gouvernants gardent le silence et n'acceptent pas de toucher à ce pays. En ce moment, je m'étonne et me pose des questions sur les motifs qui font que le gouvernement et le parlement s'abstiennent de lancer cette loi qui est le meilleur devoir aux martyrs, aux torturés, aux victimes des événements de 8 mai 1945, aux enfumés du Dahra et aux autres luttes populaires. Le silence signifie que les dirigeants ont tiré la chasse sur le passé, ce qui est grave, honteux et inadmissible. Propos recueillis par