Prévue par la loi scélérate du 23 février 2005, qui fait l'apologie du colonialisme, la Fondation pour la mémoire a été installée mardi à Paris par Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, mais aussi maire de Toulon, un de ces artisans du parti de Sarkozy, de la politique de réhabilitation des anciens nervis de l'OAS. Avant même sa naissance, cette structure qui va engloutir un budget de plus de 7 millions d'euros est dénoncée par les historiens en France. Certains y voient à juste titre un moyen «pour légitimer les crimes coloniaux». En somme, une sorte de vigie dont la mission serait de surveiller et filtrer les travaux qui seront menés sur le colonialisme français, ses crimes et exactions, ses dérives qui ne vont pas dans le sens souhaité. C'est par crainte justifiée de ces objectifs que des historiens et autres défenseurs de la vérité historique sur le colonialisme se sont élevés contre la création d'une telle structure, conçue selon eux pour être «au seul service des nostalgiques de la colonisation et du courant xénophobe d'extrême droite», plus que jamais actifs en France, y compris au sein de la majorité qui gouverne le pays. Un passé honteux Lorsqu'on vote une loi dont une disposition indemnise les anciens membres de l'organisation criminelle OAS et que l'on passe à sa mise en œuvre, il est plus aisé dès lors d'écrire l'histoire de cette entreprise abjecte qu'est le colonialisme, avec des relents positivant ses concepteurs et acteurs. Le parti de Sarkozy qui flirte allègrement avec les nostalgiques du colonialisme ne peut pas se passer de ce gisement électoral important, constitué de quelque deux millions de personnes formant la population de pieds-noirs, de harkis et d'anciens de l'OAS. Parmi les opposants légitimes à cette fondation, l'historien Gilles Manceron, qui est également vice-président de la Ligue des droits de l'homme et pour qui «une grande partie de la population française demande que la vérité soit dite sur la nature de la colonisation et une fraction de celle-ci, plus âgée, surtout implantée dans le Midi de la France, ne veut rien reconnaître, ni regarder en face, et reste attachée aux dénégations et aux anciens mensonges». L'homme rappelle que «c'est cette tranche de l'opinion, affiliée au courant d'extrême droite, qui avait soutenu la mise en place de plusieurs monuments à la gloire de l'Algérie française et des tueurs de l'OAS». Cette fondation sera par conséquent leur tremplin pour poursuivre la falsification de la vérité sur le passé honteux de l'Etat français en Algérie et dans d'autres anciennes colonies. Du reste, les décideurs en France ont veillé à ce que cette structure soit dirigée notamment par «des généraux qui persistent dans la justification de l'emploi de la torture par l'armée française en Algérie et dans la négation du mouvement nationaliste algérien», estime l'historien qui déplore que ces derniers «tournent le dos au travail conduit par de nombreux universitaires français en collaboration avec leurs collègues algériens pour une réécriture honnête de l'histoire». Des tortionnaires à la barre Il n'est pas le seul à le faire. En effet, Henri Pouillot, militant anticolonialiste, relève le fait que «seules des organisations dépendant de l'armée» soient présentes au sein de cette fondation, dont «le principal conseiller historique» est le général Maurice Faivre, «connu pour avoir toujours contesté l'existence de caves à la villa Susini (à Alger) où l'on torturait». Du reste, pour lui, la seule nomination de l'actuel secrétaire d'Etat aux anciens combattants, à ce poste officiel, relève de l'absurde, lui qui milite pour le retour sur scène des anciens nostalgiques du colonialisme de par ses différents comportements à l'égard des événements commémoratifs de la guerre d'Algérie en France. Ce ministre estime à propos de cette fondation qu'elle serait «ouverte à tous». Pour lui, «la fondation est au service de l'histoire. Elle doit faire avancer la recherche historique et être ouverte à tous. La réconciliation ne passe ni par l'oubli ni par la falsification de la réalité, mais par le fait de regarder les réalités. La fondation doit être ouverte à tous : historiens, scientifiques, militaires français, harkis, rapatriés, proches du FLN ou sympathisants de l'OAS». Il est clair que la réunion de tout ce beau monde ne peut en aucun cas être réalisée tant les visions sont éloignées sur le passé colonial. Pourtant, ce responsable se montre optimiste en affirmant que «chacun (des ennemis d'hier) pourra venir dire sa vérité», en ajoutant que «continuer, comme on le fait aujourd'hui, à mettre un mouchoir sur ces événements, ce n'est pas la solution». A ses yeux, «la fondation doit être un lieu de débat ouvert à tous, y compris aux Algériens». Peut-on imaginer un seul instant que des moudjahidine viennent s'asseoir parmi les harkis et autres anciens de leurs tortionnaires et de leurs compagnons, et de parvenir à les convaincre de reconnaître les exactions de l'armée française en Algérie durant 132 ans ? Une affaire franco-française Du reste, cette histoire de fondation pour la mémoire est une affaire franco-française montée pour perpétuer la vision officielle de ce pays envers son passé en Algérie. Elle a en outre des objectifs politiques et électoralistes évidents. C'est l'historien Olivier Le Cour Grandmaison qui l'analyse mieux, en estimant que «cette fondation confirme que l'offensive de la majorité actuelle se poursuit sous des formes diverses et se poursuivra sans doute jusqu'en 2012 pour des raisons électoralistes». Pour cela, préconise-t-il, «il est essentiel que les candidats des gauches parlementaires et radicales présents au premier tour de l'élection présidentielle de 2012 prennent clairement position pour l'abrogation de la loi du 23 février». C'est du reste les objectifs tus assignés à cette fondation que beaucoup de chercheurs ont refusé d'intégrer, faisant valoir l'argument selon lequel «au lieu d'être un outil au service de la recherche historique, elle risque de capter des archives privées dans conditions difficiles à contrôler». Un des médias français s'est du reste dit que «l'on ne peut qu'être très inquiet sur le résultat des travaux de cette fondation. Les historiens reconnus pour leurs travaux sérieux sur la Guerre d'Algérie sont unanimes pour dénoncer cette mascarade et les moyens qui lui sont donnés, alors que les organismes publics de recherche sont en grande difficulté, en particulier dans ce domaine». Cela veut tout dire. Le seul fait que l'Etat français ne veut pas condamner un crime qui s'est déroulé dans ses portes, celui du 17 octobre à Paris, laisse à penser qu'il ne compte pas revenir à de meilleurs sentiments en ce qui concerne son passé honteux.