Une atmosphère fébrile régnait, dimanche matin, au port d'Al Ayoune à l'arrivée d'un navire en provenance de Las Palmas avec à bord un groupe d'activistes canariens venu apporter son soutien aux milliers de Sahraouis des camps de toile dressés dans la périphérie de la capitale et des principales villes du Sahara occidental. Des centaines d'activistes marocains munis de gourdins et d'armes improvisées, particulièrement excités, étaient déjà depuis plusieurs heures sur le quai à les attendre. Refoulements en série à Al Ayoune A l'apparition du navire, c'est l'hystérie, le déchaînement de haine au sein de cet étrange comité d'accueil : slogans officiels sont scandés à tue-tête et accompagnés d'injures et de menaces. La foule paraissait déterminée à monter à bord. Tout autour de ce rassemblement organisé par l'Association «Sahara marocain» l'impressionnant dispositif de sécurité sur place laisse faire, ne montrant pas le moindre signe d'inquiétude, le regard visiblement complice de cette «manifestation spontanée». Les partisans de la cause sahraouie n'insistent pas pour débarquer, déjà que le pont n'est même pas posé par les manutentionnaires. Parmi eux, certains se souviennent, revivent alors les scènes de la bastonnade dont ils ont été l'objet, lors de la manifestation de soutien à l'indépendance du Sahara occidental du 24 août dernier, à Al Ayoune. C'est exactement le même scénario qui avait été mis en place par les autorités officielles qui avaient laissé faire le lynchage populaire de ces «ennemis du Maroc». Le gouvernement marocain avait attribué ces actes de violence qui avaient révolté la classe politique et les associations humanitaires en Espagne, à une «réaction légitime» de certains citoyens nationalistes «indignés» par une telle «provocation contre leur pays». Le gouvernement Zapatero avait accepté les «explications officielles» marocaines. Les passagers du navire savaient par expérience que le Maroc ne plaisante pas s'agissant de sa «souveraineté sur ses provinces du sud» et se décident alors à retourner à Las Palmas, dans la même journée. La manœuvre marocaine n'est pas inédite. A l'aéroport de Al Ayoune, un groupe d'Espagnols est systématiquement refoulé. Les autorités marocaines savaient qu'ils n'étaient pas là pour faire du tourisme comme c'est inscrit sur la fiche de police. Le même sort avait été réservé aux équipes des plus importantes chaînes de télévision espagnoles et des envoyés spéciaux de quotidiens à grand tirage, le jour même où le bureau de Al Jazira à Rabat était fermé. Le syndicat des journalistes espagnols peut donc toujours protester. Indignation à Tenerife Hier à Santa Cruz de Tenerife, l'atmosphère était à l'indignation. Les parlementaires canariens se sont présentés au retour du navire de Al Ayoune pour dénoncer à la fois l'état de siège établi autour des camps de toile, la manœuvre de Rabat visant à réduire au silence les organisations civiles et les médias espagnols et l'attitude passive du gouvernement Zapatero. Pour la députée canarienne Flora Marrero «il est évident que les autorités marocaines entendent censurer la réalité des camps de toile» assiégés où l'adolescent de 14 ans El Garhi Nayem avait été assassiné avec sang-froid, le 24 octobre dernier, par la Gendarmerie marocaine. «La communauté internationale doit réagir aux flagrantes violations des droits de l'homme» au Sahara occidental, dit-elle dans un communiqué remis aux médias. Sourd à ces réactions, Rabat a reçu avec la même dose de mépris les manifestations de protestation qui se répètent chaque jour dans une ville d'Espagne, ainsi que l'appel lancé, dimanche, par Amnesty International pour l'ouverture d'une enquête sur les «inquiétantes circonstances» de l'assassinat du jeune sahraoui, et de son enterrement immédiat par les autorités marocaines. La sœur de la victime avait assuré à la presse internationale et aux organisations humanitaires internationales que son frère était «décédé sur le coup» et que sa famille n'avait appris son enterrement que deux jours après. Une manœuvre de plus Ce climat de protestations internationales risque de peser sur la reprise des négociations informelles entre le Maroc et le Front Polisario, prévues à partir de demain à New York, et que M.Christopher Ross espère qu'elles permettront d'établir un climat de confiance entre ces deux parties impliquées dans le conflit du Sahara occidental. Pari difficile puisque les Marocains ne veulent pas entendre parler d'une alternative au statu quo actuel que le représentant personnel de M. Ban Ki-moon a qualifié d'«intenable» lors de l'escale algéroise de sa récente tournée maghrébine. Tout dépend dès lors du degré de volonté de l'Onu de faire respecter la légalité internationale, ses propres résolutions, en vue d'un référendum d'autodétermination dans cette ancienne colonie espagnole. Dans le cas contraire, le Front Polisario a déjà averti qu'il a trop attendu depuis la signature des «Accords de Houston» en 1991 sur un cessez-le-feu sur place, en n'écartant pas le recours à la lutte armée. Face à cette éventualité, le Maroc est en train de mettre en place un dispositif de propagande pour présenter le mouvement sahraoui comme une «organisation terroriste». Dans un récent communiqué, le gouvernement marocain affirme avoir des «preuves» sur la prétendue implication de membres du Front Polisario avec les deux réseaux de Al Qaïda que ses services prétendent avoir démantelés. Une ultime manœuvre pour tenter d'élargir le cercle de ses amis parmi lesquels les gouvernements de Sarkozy et de Zapatero dont les jours sont comptés.