«Si vous êtes contre l'élargissement de la mission de la Minurso à la surveillance des droits de l'homme au Sahara occidental, on peut déduire que vous avez des choses à cacher». Fassi Fihri a été visiblement surpris par cette question-observation inattendue de l'envoyé spécial d'El Pais le seul journaliste espagnol à se trouver encore, jeudi dernier, à Rabat, sa collègue d'El Mundo ayant été renvoyée chez elle, la semaine dernière, à cause de ses écrits jugés «diffamatoires» alors que le correspondant de ABC a été déclaré «pesona non grata». La guerre contre qui ? Le chef de la diplomatie marocaine, l'homme de confiance du roi Mohammed VI pour avoir été son ancien camarade de classe au lycée du Palais royal, a-t-il tout dit ou rien dit quand il laisse échapper cette réponse qui fera le titre de l'interview : «Parce que nous sommes en état de guerre !» Contre qui ? lui demande alors le journaliste. Fassi Fihri a-t-il alors trop dit ou n'a-t-il rien dit ? Déstabilisé, il s'est rendu compte trop tard que dans son interview d'une page, l'Algérie a eu droit à tous les chapitres. Résumons son argumentation : «C'est à Tindouf que sont "séquestrés" les frères marocains, c'est de là-bas que sont venus les activistes sahraouis qui ont tué les 11 policiers et gendarmes marocains dans le camp de toile de Gdein Izik, près d'Al Ayoune, c'est l'Algérie qui a planifié la déstabilisation du royaume alaouite, c'est encore elle qui accuse le Maroc de génocide et de nettoyage ethnique et c'est avec le gouvernement algérien, et non le Front Polisario, que le Maroc reprendra les négociations informelles, en décembre prochain à New York, sur le Sahara occidental.» Jusque-là rien d'inédit, en fait, dans ce qui ressemble à un discours trop galvaudé pour être pris au sérieux par les chancelleries et le pays voisin. Pour tenter de se rattraper, il retrouve le sens de la formule diplomatique : «Nous sommes en état de guerre dans un sens général. Il y a des ennemis qui s'attaquent aux intérêts supérieurs du pays.» L'Algérie ? Le Front Polisario ? La réponse ne convainc pas le têtu journaliste. En guerre contre l'Algérie ? Le Front Polisario ? Le ministre marocain assure que «de manière générale, l'usage de cocktails Molotov, le style de bombonne de gaz et l'égorgement d'un policier ne peuvent être que l'œuvre de milices qui ont été en contact permanent avec le territoire algérien…» Des preuves ? «Oui, le Front Polisario a dit clairement qu'il savait parfaitement ce qui s'est passé dans le camp de toile de Gdeim Izik et ceci démontre ses contacts…» Lassé par la langue de bois du chef de la diplomatie marocaine, le journaliste lui demande s'il peut se rendre à Al Ayoune pour, vraisemblablement, vérifier ces «faits» sur place. Mis dans les cordes, Fassi Fihri accepte de répondre mais en «off de record». Le journaliste insiste pour publier la réponse du ministre. «Pas question !» On l'aura deviné, la réponse est non. C'est la stratégie du silence que le Maroc a adoptée autour de la féroce répression depuis la prise d'assaut du camp de Gdeim Izik. Après le Parlement européen qui a appelé les Nations unies à travers sa résolution de jeudi à ouvrir une enquête internationale sur les massacres et les arrestations des indépendantistes sahraouis, Humans Right Watch a critiqué, hier, durement la prise d'assaut de ce camp de protestation situé aux abords d'Al Ayoune, les tortures et les disparitions de Sahraouis indépendantistes. Le risque est trop grand, à quelques jours du passage devant le Parlement européen d'une délégation gouvernementale marocaine invitée par les Eurodéputés à s'expliquer sur la répression du 8 novembre. Le même Fassi Fihri doit être entendu sur cette affaire, le 13 décembre par ses collègues des «27» avec lesquels il devra faire le point de l'application de l'accord avancé UE-Maroc. Là encore le gouvernement marocain veut éviter que des témoignages en direct d'Al Ayoune viennent contredire sa propagande officielle. Les boucs émissaires et les transfuges Rabat veut se donner le temps de «pacifier» le Sahara. Le roi Mohammed VI procède déjà à des changements à la tête de l'administration d'occupation qui a mal géré la crise du camp de toile de Gdeim Izik. Le wali marocain d'Al Ayoune est remplacé à ce poste par un Sahraoui d'origine qui a fait allégeance à la monarchie alaouite déjà dans les années 70. La retentissante grève de la faim de Aminatu Haider, novembre 2009, avait coûté son poste au puissant ministre marocain de l'Intérieur, Chakik Benmoussa, un autre proche et ami du roi comme Fassi Fihri. Jeudi, le souverain marocain a nommé un transfuge sahraoui, Ahmed Ould Souilem, comme nouvel ambassadeur du Maroc en Espagne. Madrid est gêné par cette nomination controversée, annoncée depuis une année. «De la poudre aux yeux», fait observer un membre actif des associations espagnoles de soutien à la cause sahraouie, «car avec un Sahraoui wali, ambassadeur ou ministre, le Sahara occidental est toujours un territoire occupé illégalement par le Maroc et la question de sa décolonisation toujours posée».