Khalida, ingénieur en informatique, âgée de 32 ans et mariée sans enfant, se livre à nous, dans une longue narration sur cette «maladie de la honte», comme elle la qualifie. Un peu hésitante, elle révèle qu'elle n'est au courant de sa maladie que depuis l'année dernière, alors qu'elle est porteuse du virus depuis deux ans déjà. «C'est le hasard qui a fait les choses», avoue-t-elle, avant d'ajouter : «J'ai fait des prélèvements de sang pour un bilan de santé générale au niveau d'un hôpital public. Le lendemain, j'ai été appelée à la hâte par un médecin que je connaissais, qui m'a remis une lettre de recommandation et m'a envoyée à l'hôpital El Kettar en urgence pour des analyses approfondies. Khalida reprend difficilement son souffle et essaye de retenir ses larmes, avant de continuer : «Je ne veux pas que mon nom apparaisse dans le journal, mes parents ne savent pas que je suis malade. Je suis leur unique enfant». Long silence avant de poursuivre : «J'ai mis beaucoup de temps avant d'accepter cette réalité amère», affirme-t-elle. «Mon mari voyageait beaucoup, à l'intérieur du pays comme à l'étranger, mais j'étais loin de le soupçonner de trahison. Nous avons vécu une longue histoire d'amour avant le mariage, c'était presque impossible», regrette-t-elle. Elle poursuit la voix à peine audible : «En arrivant à l'hôpital El Kettar, j'ai demandé aux agents de sécurité de m'orienter, suivant l'adresse inscrite sur l'enveloppe», se rappelle notre interlocutrice. «L'agent m'a demandé d'un air dubitatif de suivre la ligne rouge tracée sur la chaussée et là, j'ai tout de suite deviné ce qui m'attendait.» «Arrivée au service de dépistage des infections sexuellement transmissibles, j'ai failli rebrousser chemin, mais j'ai continué à essayer de me convaincre que ce n'était pas grave. Je fus accueillie par trois médecins, dont une jeune femme, très affectueuse. Les deux autres médecins se sont lancés dans un interrogatoire interminable et plutôt tendancieux, en attendant les résultats des prélèvements». Elle continue : «Je fus gardée à l'hôpital presque toute la journée. Le médecin femme a tout fait pour me préparer psychologiquement, avant de m'informer de ma séropositivité. Au même moment, j'ai vu défiler toute ma vie et le monde s'est écroulé autour de moi. Les deux autres médecins qui m'ont accusée de tous les torts se sont calmés, quand ils ont su que j'étais mariée. Ils m'ont tout de suite demandé d'appeler mon mari, pour vérifier sa contamination. Chose que j'ai faite. Il est arrivé, le visage blême, et je me demande comment je ne l'ai pas tué sur place.» Khalida vit toujours sous le même toit que son mari honni, car «je n'ai pas d'autre solution. Mais jamais je ne lui pardonnerai. Il nous a ruinés». Khalida est aujourd'hui une femme qui a cessé de faire des projets d'avenir. «Je prie beaucoup et je lis beaucoup le Coran. Une façon pour moi de chercher piété auprès de Dieu, afin de pouvoir résister à la tentation du suicide», conclut-elle.