Si la chance leur a souri quelque temps, à l'image de Samir qui continue d'occuper un poste au sein d'une entreprise publique, pour Bachir et nombre d'autres qui préfèrent garder l'anonymat, il a fallu désenchanter au bout de quelques années de travail. La raison, le vice- président de la Fédération des associations des handicapés la résume ainsi : «En général, ces personnes sont facilement remplaçables. Dès qu'un nouveau candidat est recommandé, c'est cet élément vulnérable qui se voit éjecté, même après des années de travail.» Ils sont finalement le maillon faible de la chaîne. Samir Madani est un jeune fonctionnaire de 45 ans, employé dans une société étatique où il exerce en tant qu'inspecteur principal des domaines depuis 17 ans. En effet, ce père de deux enfants, titulaire d'un DES de l'Institut national des finances de Koléa (actuelle école des impôts) où il a obtenu le grade d'inspecteur principal, a eu la chance d'être affecté par l'Institut à l'entreprise en question. Depuis, il est apprécié par ses supérieurs pour ses compétences et est considéré comme l'un des meilleurs de la boîte. Si l'on estime que c'est sa persévérance et son courage, en dépit de son lourd handicap, qui l'ont conduit jusque-là, il nous répondra que «c'est plutôt le désir d'être considéré comme les autres». C'est d'ailleurs ce qu'il a fait toute sa vie, boudant les privilèges que les enseignants lui accordaient durant son cursus universitaire, lui permettant par exemple de s'absenter ou de faire des retards en raison de son état. Une vision «charitable» qu'il n'a jamais acceptée. Le tout additionné à un environnement propice à l'évolution. «Je dois ma réussite à mes parents qui ont toujours été là pour que je réussisse et à mon entourage qui m'a aidé», a-t-il souligné. Etant conscient de la «chance» qu'il a eue durant son enfance, Samir admet qu'il est parmi cette minorité de personnes avantagées. Surtout quand il voit autour de lui des individus ayant le même problème de santé souffrir de l'inactivité. Samir, l'exception qui ne fait pas la règle Bachir Barak, un handicapé moteur, ne pourra hélas pas en dire autant. Ce jeune, la trentaine à peine, se retrouve au chômage après un parcours pourtant prometteur. Il a en effet édité une cinquantaine de livres pour handicapés malgré le parcours laborieux qu'il a dû emprunter. Il s'est néanmoins bien débrouillé après la fin de son cursus universitaire à Bab Ezzouar, décrochant un emploi à la daïra de Rouiba, d'où il est renvoyé après deux ans de service sans aucune explication. Pourtant son travail n'avait rien à envier à celui de ses collègues, selon ses dires. Il est au chômage depuis trois ans et souffre de cette injustice. Un autre jeune handicapé de 38 ans qui a préféré garder l'anonymat a d'abord travaillé au sein d'une entreprise qui fournit des prestations informatiques en tant qu'agent de maintenance, avant de décrocher un autre job dans une entreprise étatique d'où il est «viré» sans motif au bout de deux ans. Inutile de dire «qu'il était très professionnel dans ce qu'il faisait, vu que son handicap est léger», selon les dires de son entourage. Résultat : repli sur lui-même suivi d'une dépression diagnostiquée comme une schizophrénie. Ce qui est une aberration, selon sa sœur qui le prend en charge depuis son enfance. «Mon frère a toutes les capacités pour s'intégrer dans la société et dans le monde professionnel. Son retard mental ne l'a pas empêché de travailler. C'est l'entourage qui l'a anéanti», s'est-elle indignée, concluant que «son frère a un retard mental mais il a en même temps un pouvoir immense d'insertion comme beaucoup d'autres dans son cas. C'est la société, encouragée par l'indifférence de l'Etat qui freine les handicapés».