Les économies de bouts de chandelles adoptées par les pouvoirs publics réduisent à néant les efforts consentis en faveur de cette frange de malades chroniques. Pathologie à l'issue fatale sans une prise en charge rapide (hémodialyse), l'insuffisance rénale est souvent la résultante d'une complication de maladies comme le diabète ou l'hypertension artérielle. Elle peut être aussi la résultante d'une évolution programmée de certaines pathologies dégénérescentes (Lupus). Avant la Seconde Guerre mondiale, tous les malades en mouraient par empoisonnement du sang. Il a fallu attendre le début des années 50 et l'apparition des premiers reins artificiels pour voir la mortalité baisser sensiblement chez ces malades. En Algérie, cette maladie était très méconnue jusqu'au début des années 80. Les patients qui avaient la chance d'accéder aux soins étaient soit pris en charge par quelques centres d'hémodialyse qui existaient, soit carrément envoyés en France pour y être traités sur de longues périodes. D'ailleurs à l'époque, les moyens de diagnostic étaient si limités que le nombre de malades recensés était loin de refléter la réalité. Les insuffisants rénaux dénombrés actuellement avoisinent 8 047 patients qui sont pris en charge par 150 centres d'hémodialyse (110 publics et 40 du secteur privé). Certes, on est loin des années 1970 où 20 malades étaient soignés dans le seul centre algérien d'hémodialyse situé à l'hôpital Mustapha. Ce centre ne disposait que de 10 reins artificiels. Les centres d'hémodialyse comptent aujourd'hui 1 611 appareils. Une séance d'hémodyalise revient à 5 805 DA totalement prise en charge par la Cnas qui dépense chaque année 4,698 milliards de dinars pour ce seul chapitre. Si de grands efforts ont été consentis en faveur de cette frange de malades, il n'en demeure pas moins que les patients qui reconnaissent les améliorations ressenties en matière de prise en charge espèrent que les décideurs continuent sur leur lancée, au lieu de penser à faire des économies de bouts de chandelles. De par le monde, l'hémodialyse est considérée comme une étape transitoire, avant la greffe rénale. Des acquis non négligeables Le retard enregistré en matière de mise en place d'une politique de greffe ne fait que prolonger indéfiniment les séances d'hémodialyse. En devenant pérenne, l'hémodialyse expose les malades à d'autres dangers. Après des années de lutte, la Fédération d'aide aux insuffisants rénaux a réussi a arracher plusieurs droits. C'est ainsi que les frais de transport sont pris en charge par la Cnas, à chaque fois que le malade se rend vers un centre d'hémodialyse, à raison de 3 fois par semaine. Chaque malade perçoit une somme de 100 DA représentant les frais d'un repas à chaque fois qu'il passe au rein artificiel. Ces acquis ne sont pas négligeables quand on sait que de nombreux malades sont des chômeurs ou issus de familles pauvres. Après ces succès, la Fédération d'aide aux insuffisants rénaux se bat à présent “pour améliorer la qualité de l'hémodialyse”. “Nous luttons maintenant pour que le Bicare et l'EPO, deux produits indispensables, soient pris en charge par la Cnas. Ces deux produits permettent aux malades d'être bien à l'aise et de ne pas présenter d'anémie”, affirme M. Aziz Rahim, vice-président de la Fédération d'aide aux insuffisants rénaux, dont tous les membres réclament que ces deux produits soient intégrés dans le kit d'hémodialyse. Certes, pour le moment le Bicare est disponible plus ou moins régulièrement dans les centres publics ou privés, mais tel n'est pas le cas pour l'EPO. “Comme l'EPO n'est pas remboursé, je l'ai acheté au début à 8 000 DA la dose, mais mes moyens financiers ne me permettent pas de continuer à faire de telles dépenses”, déclare une jeune malade prise en charge à l'hôpital Mustapha. Le Pr Drif, chef du service réanimation à l'hôpital Mustapha, confirme cette situation lorsque nous l'avons rencontré à l'occasion de la journée sur la greffe rénale tenue au siège du ministère de la Santé le 29 septembre dernier : “Devant la cherté du produit, nous réalisons les dialyses sans l'EPO.” Si les améliorations sont palpables, il ne faut pas oublier les contraintes d'hygiène relevées au niveau des centres d'hémodyalise. Cette grave réalité est plus ou moins visible dans les structures publiques, car le secteur privé tente tant bien que mal d'être à la hauteur. Mais même chez le privé, par hygiène seul l'aspect de propreté est pris en considération. En effet, selon des études, 38% des insuffisants rénaux sont atteints d'hépatite C. Etant une activité en rapport avec le sang, le risque est toujours existant, mais en Algérie les mesures de prévention sont rares. “Il faut stériliser les machines à la fin de chaque usage. L'infirmier et le médecin doivent avoir chacun une paire de gants pour chaque malade. Le corps soignant doit aussi disposer de lunettes et de casques contre les projections de sang. Dans nos centres d'hémodyalise, nous manquons de moyens pour protéger le patient et le soignant”, déclare le Dr Rayane, chef de service de néphrologie à l'hôpital Neffissa-Hamoud à Hussein Dey. Des risques d'infection élevés Membre de la commission mise sur pied pour étudier les raisons d'un tel taux d'infection par l'hépatite parmi les hémodialysés, le Dr Rayane insiste sur le coût engendré pour soigner cette maladie : “Il faut compter en moyenne 25 millions pour soigner un malade infecté par l'hépatite C. Le traitement par interféron dure une année, et il est inefficace chez un greffé.” Il ajoutera à ce sujet : “Normalement dès que le sans gicle il faut l'essuyer avec de l'eau de Javel à 12 degrés.” Il estime, enfin, qu'en l'état actuel des choses, il faut admettre l'hépatite C comme étant une maladie nosocomiale. Il y a aussi le risque de contamination par le virus de l'hépatite C, mais cette fois un vaccin existe, et les hôpitaux se chargent de vacciner tous les dialysés, que ce soit du secteur public ou privé. Dans l'absolu seulement, car les doses n'arrivent pas toujours au moment opportun. Il faut une injection mensuelle durant les 3 premiers mois et un rappel annuel ensuite. Les patients préfèrent depuis qu'ils existent les centres d'hémodyalise privés. La propreté étant visible partout et les centres redoublent d'effort pour garder leurs “clients”. Pour pouvoir ouvrir un centre du genre, il faut soit être médecin néphrologue ou à défaut en recruter un. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une petite unité de moins de six générateurs, la présence d'un infirmier ayant plus de 3 ans d'expérience dans un centre d'hémodyalise est exigée. Ces petites unités même si elles ont le statut de “privé” doivent être placées sous la tutelle d'un centre dépendant de l'hôpital le plus proche. La clinique Ibtissème, située à Dély-Ibrahim, dispose de 12 générateurs dont 9 fonctionnels et 3 laissés en réserve et pour les urgences. Les malades semblent s'y plaire et les lieux sont propres. “Je suis suivi dans cette clinique depuis plus de 6 mois ; je ressens une amélioration depuis que j'ai quitté le secteur public”, estime un patient qui venait de terminer sa séance. Le Dr Bedja, néphrologue du service, veille au grain et contrôle toutes les activités liées à l'hémodyalise. Elle nous présente fièrement sa clinique et insiste que les malades bénéficient du Bicare. “Nous espérons l'introduction de l'EPO dans le kit d'hémodyalise. Nous avons des gants pour chaque malade, et dès qu'une séance est terminée nous procédons à sa stérilisation”, affirme-t-elle. Pourtant, malgré l'engouement des malades pour les centres privés, il n'en demeure pas moins que certains par souci d'assurance continuent à préférer l'hôpital. “Je sais qu'à l'hôpital c'est moins propre que dans le privé, mais en contrepartie l'hôpital ne fermera jamais, ce qui n'est pas le cas pour une clinique privée”, estime une enseignante dialysée et qui continue à travailler mais affectée à un poste dans l'administration. 238 greffes depuis 1986 La greffe demeure la meilleure solution pour tout insuffisant rénal. La première greffe réalisée en Algérie en 1986, avec l'aide d'une équipe médicale française, laissait présager en son temps une solution salvatrice pour tous les malades. Depuis, il y a eu arrêt de plus d'une décennie. L'urologue algérien qui avait réalisé l'intervention est installé aujourd'hui en France. D'autres médecins ont pris le relais, et malgré des arrêts fréquents, il y a eu 238 greffes en Algérie depuis 1986 (160 à l'hôpital Mustapha, 69 à Constantine et 9 à Blida). Depuis quelques années, les autorités sanitaires du pays tentent de relancer l'activité et d'autres hôpitaux pratiqueront la greffe bientôt. “Les hôpitaux d'Annaba et de Tizi Ouzou entameront bientôt à leur tour la greffe rénale”, déclare M. Amar Tou, ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière, lors de journée d'étude sur la greffe rénale organisée par son département le 27 septembre dernier. L'engouement né à l'issue de la première greffe à partir d'un coma dépassé, une prouesse réalisée par la clinique Daski de Constantine, a été de courte durée puisque l'activité est à l'arrêt. 6 greffes en tout ont été réalisées à partir de reins prélevés sur 3 cadavres, et depuis c'est l'arrêt total. Les spécialistes algériens à l'image du Pr Drif préfèrent la greffe de donneur vivant car elle se fait au sein de la famille où les taux de compatibilité sont les plus élevés. Les malades, pour leur part, espèrent tous pouvoir bénéficier d'une greffe pour échapper aux séances de dialyse. “Nous savons pourtant que nous serons opérés dans des hôpitaux où l'hygiène fait défaut. Nous courons ainsi un seul risque, mais lors de chaque séance nous pouvons contracter toutes les maladies du sang, y compris le sida”, soutient une malade qui a préféré une clinique privée pour ses dialyses. S. I.