Entre le coup de gueule mesuré de la sénatrice Z'hor Drif Bitat et la réponse polie du Premier ministre Ahmed Ouyahia, il est difficile de saisir la ligne de démarcation, mais le Parlement a besoin de quelques étincelles, même quand elles ne sont pas l'émanation de parlementaires connus pour être d'invétérés opposants. Que madame Bitat interpelle le gouvernement sur la détresse des jeunes «poussés à la harga» sur un ton de douce véhémence n'est pas vraiment une surprise. La sénatrice a un parcours et une personnalité qui peuvent la situer en retrait de l'alignement systématique de la majorité et il n'y a pas grand monde pour douter de la sincérité de sa colère, d'autant plus qu'elle l'exprime sur un sujet dramatique que personne ne peut plus cacher, même pas le Premier ministre auquel elle s'adressait à l'occasion de sa déclaration de politique générale. Un Premier ministre qui était parfaitement dans son rôle quand il réplique qu'il ne faut pas s'attendre à trouver au sein du gouvernement «ceux qui défendent la légitimité de la harga». Sauf qu'en l'occurrence, ce n'est pas de la légitimité de la harga qu'il s'agit mais de celle d'avoir des raisons de ne pas recourir au pire pour ces milliers de jeunes et parfois moins jeunes qui prennent la mer au péril de leur vie. Bien sûr, dans toutes les situations où la colère s'exprime par des gestes désespérés ou destructeurs, il y a toujours à redire sur la propension populiste ou politicienne à la légitimation par le désarroi social. L'Algérie a eu à connaître des situations qui s'en rapprochent avec le terrorisme et maintenant avec des contestations «sociales» d'une rare violence et il n'y a pas eu beaucoup de monde à avoir le courage politique de dire que leurs motivations ne sont pas toujours celles qu'on veut bien évoquer. Avant qu'on ne se rende compte que ceux qui ont pris les armes contre l'Algérie étaient loin d'être les plus malheureux. Pas plus que tous ceux qui érigent des barricades ne sont de farouches et sincères militants du logement social ou de l'emploi. En alliant dans d'égales proportions le «respect de la loi» et l'effort de l'Etat en matière de création d'emplois, le Premier ministre sait sûrement le déséquilibre entre les deux fronts de lutte contre la harga. En présentant les candidats au suicide comme des victimes systématiques dont on devrait comprendre la folie, la sénatrice sait aussi que tous les harraga ne crèvent pas la dalle. Et que qu'elle que soit la détresse d'un jeune Algérien, voyager illégalement est passible de sanction. Elle est sans doute là, la ligne de démarcation. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir