«J'espère bien que mon fils soit parmi le groupe de harraga arrêté le 1er janvier par les gardes-côtes espagnols. Il est sorti deux jours avant et m'avait annoncé qu'il se rendait à Mostaganem chez des proches. Ces derniers m'ont annoncé hier que leur enfant, un adolescent, avait accompagné mon fils à une plage du côté de Stidia, d'où ils avaient pris place dans une barque qui a mis le cap vers le nord», dira une vieille dame du quartier Saint Antoine, sur les hauteurs de la ville d'Oran. La nouvelle a fait le tour de la ville et semble avoir donné une lueur d'espoir aux nombreuses familles dont des membres ont pris la mer récemment pour rejoindre l'autre rive de la Méditerranée. «Il gagnait bien sa vie. Il était employé comme receveur d'un bus et il ne manquait de rien, je ne sais pas ce qui l'a pris», dira la dame la gorge nouée par des sanglots. Cette dernière nous racontera le quotidien difficile de sa voisine dont l'unique enfant a pris la mer il y a une année pour ne plus donner de signe de vie. «Elle continue la pauvre de sillonner le pays à chaque fois que la presse annonce la récupération d'un cadavre rejeté par la mer. Elle passe ses jours entre les morgues des hôpitaux et la sortie du port pour guetter les voyageurs qui débarquent d'Espagne dans l'espoir d'avoir une bonne nouvelle. Je ne veux pas endurer sa misère, la pauvre a perdu la raison», dira-t-elle. Des jeunes que nous avons rencontrés dans un café de la ville racontent comment leur embarcation a été arraisonnée il y a une année par une unité des garde-côtes espagnols. «C'était à l'aube alors que nous voyions à l'horizon la montagne qui surplombe Almeria. Un hélicoptère a survolé notre barque avant qu'une vedette ne vienne à notre rencontre. On a été sommés de monter à bord. Nous avons été sèchement interpellés puis conduits à un camp de rétention à Almeria où nous sommes restés près d'un mois avant d'être reconduits en Algérie. Sur place la vie était dure et nous ne mangions pas à notre faim. Nous avons trouvé d'autres jeunes Algériens, plusieurs Marocains et même des Bangladais et des Subsahariens. Ce fut très dur là-bas et quand on nous a fait monter sur le bateau ce fut le soulagement. Arrivés au port d'Oran nous avons été placés en garde à vue puis présentés devant la justice qui nous a condamnés à verser des amendes et à des peines de 6 mois à une année de prison avec sursis», dira Saïd, un jeune garçon de café qui avouera qu'il garde un mauvais souvenir de sa tentative de harga. Plusieurs vieilles femmes, mères de harraga, guettent les arrivées des bateaux en provenance d'Espagne. Elles vont aux nouvelles à chaque fois qu'un voyageur quitte l'enceinte du port. Leur visage trahit une douleur difficilement contenue et leurs yeux sont marqués par des nuits de veille et des torrents de larmes versées.