Ben Ali se trouve vraisemblablement en «escale d'urgence» en Arabie Saoudite, mais pas en exil. L'Arabie Saoudite n'est pas la terre d'accueil mais de transit que recherchait, dans la précipitation, ce général-président qui a gouverné la Tunisie d'une main de fer pendant 23 ans, avant d'abandonner son pays à la manière du shah d'Iran, laissant face-à-face son peuple et sa police. Le désormais ex-président doit réfléchir, en ce moment, au pays refuge où il pourrait couler des jours heureux avec sa famille, grâce à la richesse mal acquise par sa famille à l'ombre de son pouvoir absolu. Son rêve, ce n'est pas Djeddah où son avion a eu, finalement, l'autorisation de se poser après plusieurs heurs d'errance sans destination connue. C'est sans doute à Paris qu'il aurait aimé s'établir avec sa famille. Ben Ali doit sans doute réfléchir aussi sur le véritable sens de l'amitié des dirigeants du pays où il a fait sa carrière militaire et qui a assuré sa promotion politique jusqu'à lui donner le coup de pouce nécessaire pour prendre la place de Habib Bourguiba que la vieillesse avait fait retomber en enfance. Il doit, surtout, s'interroger sur le sens de l'amitié, sur la dose de sincérité en politique, sur les éloges dont le couvrait généreusement Chirac après que Sarkozy lui eut signifié, en plein vol en Méditerranée, qu'il n'était pas le bienvenu en France. Sur ce plan et celui de l'hospitalité, il doit reconnaître que le pays arabe qui a accepté de le recevoir est de loin en avance sur l'occident. L'amitié de la France pour Ben Ali, c'est l'amour des touristes français pour son littoral, des entreprises françaises pour leurs belles affaires dans ce pays du Maghreb, du gouvernement de Paris pour son ancienne et fidèle colonie et pour la place qu'elle a dans sa politique étrangère. Ben Ali, Bongo, Bokassa et les autres... L'autoproclamé «empereur» Jean Bedel Bokassa, de la république centra-africaine n'est pas plus «cousin» de Chirac que Omar Bango son ami. L'ex-président du Gabon, le dernier rempart de l'ancien empire colonial français en Afrique, en a su quelque chose à la veille de sa mort. Souffrant d'un cancer à un stade avancé, il se verra refuser, fin 2009, le visa d'entrée en France et mourra dans une clinique privée en Catalogne. Sarkozy avait sans doute de bonnes raisons de ne pas recevoir ce fidèle parmi les fidèles de son pays devenu infréquentable depuis qu'un magistrat menaçait de le mettre en examen pour une affaire de corruption s'il foulait le sol français. Ingratitude ? Sans doute ! Corruption ? Certainement ! Les deux arguments ont pesé dans la décision de l'Elysée de ne pas recevoir Ben Ali. Sait-on jamais, à Paris, un petit juge de province pourrait fouiner dans les affaires «Ben Ali -Trabelsi» où les entreprises françaises ont eu la grande part du gâteau. Ces affaires louches remontent, souvent, très haut. Sarkozy n'a pas besoin d'un tel scandale à la veille des élections de 2012, et encore moins d'offrir de son pays l'image de terre d'exil qui accueille, à la fois, les opposants comme les despotes de leurs pays d'origine, mais d'où sont éjectés les sans-papiers sans aucun ménagement. Les «amis» lui tournent le dos La France a donc dû observer un silence troublant durant les tueries de Sidi Bouzid et de Tunis. La révolte populaire en Tunisie a permis de lever le voile à la fois sur la gestion scandaleuse de la désormais «ère Ben Ali», mais aussi sur les raisons du silence de la France et du reste des pays de l'Union européenne face à la répression sanguinaire en Tunisie. Le gouvernement de Zapatero, donneur de leçons en matière de défense des droits de l'homme là où l'Espagne a le moins d'intérêt possible, a observé un grand mutisme face à ce qui se passe dans ce pays maghrébin. De gros intérêts sont en jeu là encore. En 2010, la présidence espagnole de l'Union européenne avait fait du forcing pour que les «27» octroient à la Tunisie l'avantageux «statut avancé» avec l'UE, un privilège dont seul jouit le Maroc jusqu'à présent. Un régime tout aussi despotique que celui de Ben Ali. «On n'est jamais trahi que par les siens» En septembre dernier, le gouvernement espagnol avait fait échouer la préparation par une organisation civile canadienne d'une conférence internationale à Madrid sur les droits de l'homme en Tunisie, en refusant le visa d'entrée à l'opposition tunisienne. Comme la France, l'Espagne et le reste des pays européens «amis» de la Tunisie ont tourné le dos au peuple tunisien dans les moments les plus difficiles, lorsqu'il manifestait sa colère contre une dictature féroce, puis aujourd'hui à Ben Ali lui-même. De son exil non choisi, à Djeddah, en attendant l'exil dorée, l'ex-président tunisien doit méditer cet adage bien français : «On n'est jamais trahi que par les siens». Les siens, ce ne sont plus les tunisiens qui lui ont retiré leur confiance. Cela, il l'a sans doute compris. C'est la France, et avec elle toute l'Europe occidentale. Ces «amis» qu'il a servis. Ça, il doit le comprendre aussi.