Depuis son présage sur la «colonisation de l'Europe», le colonel Mouammar El Kadhafi s'est montré plutôt discret. Il était temps que l'homme fort de Tripoli sorte de l'ombre de sa tente royale. Surtout que de l'autre côté de la frontière, la chute du régime tunisien inspire la méfiance. Elle fait même craindre le pire, bien que les dominos ne basculent à court terme vers la Jamahiriya. Depuis son palais, le président El Kadhafi a pourtant regretté que ça se termine aussi mal pour son ami Ben Ali. Son ancien voisin méritait plus d'égards. Pourquoi pas un bain de foule avant sa fuite vers Djeddah, avec une fortune estimée à 5 milliards de dollars ! Le peuple tunisien en a décidé autrement, le maître de la Jamahiriya n'a pu que suivre du regard l'avion présidentiel de Ben Ali survolant le territoire libyen. Mais que son vieil ami soit écarté définitivement du pouvoir à Tunis, cela ne change rien aux yeux du colonel. Le seul président légal qu'il reconnaît s'appelle Ben Ali. Le guide libyen garde-t-il espoir qu'un jour l'ex-dirigeant tunisien puisse reprendre place sur le trône ? Même Ben Ali ne semble plus trop y croire du fait que ses plus fidèles amis de l'étranger se sont rendus à l'évidence qu'il n'y a plus de temps à perdre : il faut montrer ne serait-ce que de l'estime pour la révolution de Jasmin. Avec l'espoir que le futur successeur de Ben Ali, non pas son actuel intérimaire, ne sera pas rancunier envers les Etats qui ont cru en un sauvetage de dernière minute du régime déchu. Le guide de la Jamahiriya va encore plus loin. En dehors du pouvoir de Ben Ali, nul n'aura de grâce auprès du voisin libyen. Si Mouammar El Kadhafi tient absolument à revoir l'ex-Président tunisien revenir par la grande porte au palais de Carthage, pourquoi ne lui offrirait-il pas l'exil en Libye ? C'est tout de même plus aisé d'espérer un retour au pouvoir de chez le voisin que de le penser à partir du royaume wahhabite où les Ben Ali résident pour une durée indéterminée. Les nuits libyennes risquent d'être courtes pour le «Ceausescu des sables», ce que le député vert européen, Noël Mamère, a trouvé le plus approprié pour surnommer Ben Ali. Celui-ci se sentirait beaucoup mieux où il est, du moins pour les semaines qui viennent, sous l'aile modérée de l'Arabie Saoudite où la communauté tunisienne n'est pas aussi importante qu'en Libye. A moins qu'une institution pénale internationale se décide à lui chercher des noises et à le traquer. D'autant que rien ne prouve que l'immunité de l'armée tunisienne lui suffise à éviter le TPI. Du fait de son sombre devenir, Ben Ali représente-t-il déjà l'encombrant exilé dont personne ne veut ? A l'avenir, ses voisins auront à réfléchir par deux fois sur son nouveau statut.