Il était 19h quand la corne de brume actionnée par Malki Djamel, le commandant de bord du ferry algérien Tassili II, annonçait jeudi son approche des quais du port d'Alger. A la gare maritime et sur la coursive longeant le quai, la délégation du ministère des Affaires étrangères et les dizaines de journalistes piaffaient d'impatience pour accueillir et recueillir des témoignages sur les événements en Libye et sur les conditions de leur rapatriement. «Allah Akbar (Dieu est Grand), Tahya El Djazaïr (Vive l'Algérie)», scandaient les passagers du Tassili II lors de ses manœuvres d'approche du quai. Des moments d'émotion vécus par la plupart des présents, dont le secrétaire d'Etat auprès des Affaires étrangères, Halim Benatallah, et Lahcène Grairia, PDG de la SNTMV, et bon nombre de responsables des diverses entités ayant participé à cette traversée salvatrice et salutaire des 1400 personnes, extirpées des sanglants événements qui secouent la Libye. 517 ressortissants algériens, dont 34 enfants, 773 Sahraouis, 8 Américains, 5 Marocains, 1 Tunisien et 6 Libyens, ont ainsi été rapatriés de Benghazi et de Tripoli où, selon les témoignages, l'insurrection bat son plein. 33 bus affrétés par le ministère de la Solidarité ont été mis à la disposition des passagers. Ces bus transporteront les personnes résidant dans diverses régions d'Algérie. Pour les 773 Sahraouis, dont la majorité sont des étudiantes et des étudiants, un train spécial a été réservé pour les acheminer vers la ville de Béchar. Escortés par des gendarmes, ils devront êtres conduits par la suite vers les camps de réfugiés de Tindouf. Des fourgons blindés frappés de l'immatriculation diplomatique attendaient d'embarquer les 8 ressortissants américains, une mère et ses 7 enfants. Une équipe de 84 personnes, dont des médecins, a assuré une prise en charge sanitaire et médicale, des formalités d'accès à bord ainsi que l'assistance. «On a procédé à un peu plus de 400 auscultations pour des personnes qui étaient dans un état d'épuisement physique et psychologique», témoigne le docteur Bensaidane, responsable de l'équipe médicale du Samu. A propos des deux Algériennes enceintes et qui devaient embarquer, le médecin a indiqué que «les deux femmes, dont une a mis au monde le jeune Isra Hassan, étaient actuellement hospitalisées à Benghazi et à Tripoli et que les services du consulat d'Algérie étaient chargés du suivi de la prise en charge», ajoutant que «26 autres ressortissants étaient hospitalisés suite aux divers traumatismes subis». «Des Algériens ont été délestés de leur argent et documents par les forces de sécurité libyennes», témoigne un passager, confirmant ainsi les multiples autres témoignages d'agressions similaires dont ont été victimes les Algériens. Dans le hall de la gare maritime, un tumulte indescriptible régnait. Les services de police et des douanes ainsi que les équipes cynophiles appartenant aux deux institutions s'efforçaient de faciliter le passage des personnes visiblement sous le choc. Un espace marqué par l'emblème du Polisario a été exclusivement réservé aux Sahraouis. Si d'un côté des témoins parlaient d'«agressions commises sur des Algériens», d'autres, en revanche, «louaient la bienveillance et l'attention particulières affichées par les Libyens à l'égard des Algériens». Ce n'est que vers 23h que les derniers passagers prennent place dans les bus en partance vers leurs directions respectives. Seuls quelques Algériens n'ayant aucun pied à terre en Algérie devaient être pris en charge par les responsables du gouvernement, qui veillaient au bon déroulement de cette opération. Plus de 6000 personnes rapatriées par l'Algérie Selon Larbaoui Nadir, directeur de l'immigration au ministère des Affaires étrangères, «6000 personnes, dont 3800 Algériens et 2200 étrangers de 25 nationalités différentes, ont été rapatriées par l'Algérie par divers points frontaliers». Concernant les étrangers, pas moins de 1713 l'ont été par les frontières algéro-libyennes. 635 Libyens, 412 Egyptiens, 294 Vietnamiens, 151 Mauritaniens, 42 Philippins, 30 Pakistanais, 18 Espagnols, 14 Allemands, 12 Irakiens, 12 Maliens, 11 Français, 10 Turcs, 9 Américains, 5 Britanniques et 24 autres de diverses nationalités. Debdeb, frontière algéro-libyenne, Bouchebka, frontière algéro-tunisienne, Taleb Larbi, frontière algéro-tunisienne, Hdada, frontière algéro-tunisienne, Selloum, frontière égypto-libyenne, ont été les lieux de passage pour le rapatriement de ces personnes. Quand Al Jazeera tente de semer la panique et la discorde en Libye Pas moins de 36 laissez-passer ont été accordés à des Algériens à bord du ferry par la délégation des affaires étrangères qui s'est déplacée. Environ 629 autres aux jeunes Sahraouis démunis de documents qu'ils ne pouvaient emporter durant l'opération de rapatriement. Certains Algériens ont été délestés de leurs documents et argent par les autorités libyennes ou par des jeunes manifestants armés. «Les Libyens, qui nous apprécient, ont changé d'attitude suite à l'annonce calomnieuse faite par la chaîne qatarie faisant état d'envoi par l'Algérie d'avions remplis de voyous algériens vers la Libye pour mater l'insurrection», ont témoigné la plupart des passagers, une information qui a été, rappelle-t-on, «formellement démentie par le ministre des Affaires étrangères». Les rapatriés n'ont pas manqué, par ailleurs, d'exprimer «leurs remerciements au gouvernement algérien et au président de la République». . Les témoignages poignants révèlent l'ampleur des dégâts occasionnés par le mouvement d'insurrection populaire, en mettant en relief l'hostilité et l'animosité des deux parties engagées dans des affrontements armés. «J'ai vu l'armée libyenne tirer à bout portant sur des civils et ces derniers nous protégeaient, mais suite à l'annonce de la chaîne qatarie, le comportement de certains d'entre eux a changé», affirme un témoin résidant à Djadibia, une ville à quelques encablures de Benghazi, où de forts affrontements se sont déroulés. «Que faire devant un enfant d'à peine 14 ans armé d'une kalachnikov ?», s'exclame un témoin les yeux écarquillés de stupeur et qui exhibe un billet d'un dinar libyen pour dire : «J'ai été délesté de tout mon argent par ces jeunes armés suite à l'attaque d'un arsenal par les manifestants.» Il était le témoin oculaire du bombardement de manifestants par des avions de l'armée libyenne. Tous les témoins convergent pour dire l'horreur vécue par une tranche de manifestants. «Je remercie le gouvernement algérien et plus particulièrement Bouteflika pour cette louable initiative en espérant que la Libye ne sombre pas dans une guerre civile, car au vu de la tournure des événements, la situation pourrait prendre des proportions alarmantes», déplore un quinquagénaire d'une voix empreinte d'émotion. Tous les témoins approchés ont relevé «le courage des internautes qui n'ont pas hésité à diffuser les images filmées par le biais des téléphones portables suite aux coupures des services de communication par le régime en place». Tous ont condamné avec rigueur la chaîne qatarie, en l'accusant de «vouloir semer la discorde, la panique et la terreur entre deux peuples frères». Pour certains d'entre eux, ils feront l'objet d'un suivi psychologique. Un grand bravo au gouvernement algérien et à la compagnie maritime ENTMV Les passagers n'ont pas tari d'éloges en direction du gouvernement algérien, mais également en direction de la compagnie maritime nationale, qui a déployé des efforts colossaux pour la réussite de cette traversée salutaire. «Nous avons été instruits la veille vers 20h et je peux vous dire que le personnel n'a pas hésité à se mobiliser toute la nuit pour préparer le bateau qui a pris la mer le lendemain matin», affirme M. Grairia, rappelant que «l'ENTMV est saturée par le nombre exceptionnel de voyageurs en raison de la grève de la compagnie maritime française SNCM». Toutefois et tout en louant le sens aigu du sacrifice de ses collaborateurs, il remercie le gouvernement algérien pour «l'action humanitaire qu'il a entreprise en direction des personnes prises au piège en Libye». Un remerciement que diront d'une manière tonitruante tous les passagers du Tassili II.