Sans aller jusqu'à lui signifier qu'il fait de Kadhafi son ennemi personnel, les Européens pensent bien que Sarkozy est en train de monter au front de la guerre en solo. Loin de tout esprit revanchard, exacerbé par les attaques de Seïf El Islam qui a traité la France de mendigote auprès de la Jamahiriya, les membres de l'Union européenne ont rejeté le choix de frappes ciblées, défensives soient-elles. Si Nicolas Sarkozy a des comptes à régler avec le régime de Tripoli ou s'il a fait exprès de court-circuiter son nouveau chef de la diplomatie, Alain Juppé, l'UE ne se sent pas encore prête à dégainer. Quitte à gripper le moteur franco-allemand, Angela Merkel et nombre de ses collègues ont opté pour la politique des petits pas fermes : devenu illégitime, Mouammar Kadhafi est prié de partir sans délai puisque le seul interlocuteur reconnu par les Européens est le Conseil national libyen. Après la France, le régime libyen rompra-t-il ses relations avec l'Europe, diplomatiquement désunie ? Ce serait trop risqué, Kadhafi n'a plus vraiment à qui parler. Excepté l'émissaire du président yéménite Ali Saleh qui, lui aussi, ne sait plus quelle épaisseur est nécessaire à son coupe-vent pour stopper la révolte. Car les gaz toxiques dont auraient usé ses forces de l'ordre n'ont pas provoqué l'essoufflement tant espéré. Bien au contraire, le recours à de telles pratiques répressives ne fera que radicaliser la contestation. Mais quelle autre manière possible pour expliquer à Ali Saleh que son régime serait lui aussi mort politiquement quand le président Obama appelle au dialogue, rempart anti-Al Qaïda oblige ? Nul ne sait avec exactitude ce qu'est venu dire l'émissaire de Sanaa à Mouammar Kadhafi, mais tout laisse croire qu'une «solidarité résistante» entre les deux régimes est à prévoir. Le Guide libyen compterait-il sur la brutalité du pouvoir d'Ali Saleh contre la révolte pacifique pour desserrer l'étau diplomatique qui continue d'étrangler le clan des Kadhafi ? Tous les coups sont permis quand les options de l'embargo aérien en particulier et de l'intervention militaire en général ne sont pas définitivement écartées. Ni par Nicolas Sarkozy, qui n'a pas exclu d'intervenir en Libye sans un mandat de l'Onu, ni par Barack Obama qui a juré de veiller à ce que les atrocités aux Balkans, au milieu des années 90, ne se reproduisent plus. Ce rapprochement veut dire ce qu'il veut dire, mais quand c'est l'ancien président Bill Clinton qui appuie une telle initiative interventionniste, celle-ci risque de se traduire par des faits têtus sur le plan militaire. Même s'il ne veut pas donner l'image d'un va-t-en-guerre capable du pire pour gagner la guerre froide post-chute du mur de Berlin, Obama se joindra-t-il au tandem Sarkozy-Cameron, avant de voir se reproduire le scénario de frappes unilatérales comme lors de la guerre de Serbie et du Kosovo ? Après tout, c'est des intérêts du bloc occidental qu'il s'agit et ce, face à des grandes puissances rivales qui ont également les leurs à défendre. Comme il a attendu la fin du sommet européen pour reprendre la parole, le président Obama patienterait jusqu'à la fin de la prochaine réunion d'urgence de l'Otan pour fournir d'autres précisions sur la démarche US à suivre. D'ici à ce que sa chef de la diplomatie s'envole pour l'Egypte et la Tunisie pour «marquer les nouveaux territoires», il aura déjà un retour d'écoute de ce qui s'est dit dans les coulisses de la Ligue arabe. Comme personne ne s'attend à une position commune, malgré le plaidoyer d'Amr Moussa en faveur d'un embargo aérien à partir du Caire, où l'Européenne Catherine Ashton a précédé l'Américaine Hillary Clinton ! le trio franco-américano-britannique pourrait passer à l'action plus vite que Kadhafi et ses alliés puissent le penser, les liens transatlantiques et les attaches européennes n'en étant pas à leur premier coup dur.