70 familles, dont des membres travaillent ou ayant travaillé à l'ambassade de France, sont menacées d'expulsion de «Houmat Legouar», à Aïn Allah, dans la commune de Dely Ibrahim, où elles habitent depuis quatorze ans. L'ambassade les a en effet poursuivies au tribunal de Bir Mourad Raïs, demandant la restitution de ces logements de fonction. Les locataires ne comptent pas quitter les lieux. Après le sit-in de protestation du 19 mars, ils comptent en organiser un autre ce matin dans la cité. La crise couvait depuis deux ans. Elle a éclaté au grand jour le 19 mars dernier. Profitant de la célébration de la "journée de la victoire " qui coïncide avec l'entrée en vigueur en 1962 des Accords d'Evian, 70 familles ont organisé un rassemblement à l'entrée de leur quartier, communément appelé "Houmat Lagouar", le "quartier diplomatique" ou alors "Erroumia", à Ain Allah, dans la commune de Dely Ibrahim. Toute une symbolique ! A vrai dire, ces familles venaient de porter à la connaissance de l'opinion qu'elles sont en conflit avec les services de l'ambassade de France à Alger qui leur a demandé de quitter les lieux, sous peine de poursuites judiciaires qui sont d'ailleurs en cours au niveau du tribunal de Bir Mourad Raïs territorialement compétent. L'ambassade entend récupérer cette cité constituée de 70 logements de fonction répartis en quatre immeubles mais les locataires s'y opposent. Tout en demandant leur régularisation administrative sur place, ils se disent déterminés à user de tous les moyens possibles pour éviter leur expulsion par voie de justice. Avant d'aller à des solutions extrêmes, ils continuent d'appeler à l'intervention des autorités dans cette affaire. Après le sit-in du 19 mars, ils devraient en effet organiser un autre rassemblement ce matin sur les lieux. Veux-tu un logement ? Les occupants de la cité travaillent ou ont déjà travaillé à l'ambassade. Ils sont agents de bureau dans les différents services ou employés chez des particuliers, dans l'enceinte de l'ambassade, comme jardiniers, femmes de ménage, éducatrices, cuisiniers, entraîneurs, peintres, chauffeurs ou plombiers. Ils sont salariés ou perçoivent cash leur dû à la fin de chaque mois. La plupart exercent là depuis le milieu des années 1995. La cité Aïn Allah a été construite au début des années 1980. Quatre bâtiments ont été par la suite utilisés par l'ambassade comme logements de fonction au profit de son personnel français et étranger en détachement. Le 3 août 1994, cinq Français, dont trois gendarmes ont été assassinés à l'entrée du quartier par des terroristes. De ce fait, les bâtiments ont été évacués et les logements étaient restés vides. Pour éviter leur squat, l'ambassade a proposé, individuellement, à une partie de son personnel algérien de s'y installer à titre de gardiennage. «Mon responsable m'a demandé si je voulais avoir un logement, j'ai dis : bien sûr ! J'ai visité la cité et j'ai choisi moi-même un F2», raconte un locataire. Avant de s'installer, les nouveaux habitants ont dû procéder à des travaux de réfection. «La cité était délabrée. Il a fallu faire des travaux pour réparer toutes les dégradations qu'elle a subies. La remise en état des appartements a été assurée à nos frais, les services de l'ambassade nous ayant autorisés à le faire», ajoute-t-on. En plus des opérations de réhabilitation qu'ils ont prises en charge, ils ont dû également honorer les factures laissées par les anciens locataires français concernant les consommations en eau potable et en électricité pour pouvoir y avoir accès. Mieux : les nouvelles factures (gaz, eau, électricité) sont dorénavant délivrées en leurs noms et continuent de l'être à ce jour. En été 1997, le gardiennage s'est transformé en location. Le montant de celle-ci est arrêté à 10% du «salaire brut autorisé», indépendamment de la surface du logement occupé. Il est arrivé ainsi qu'une femme de ménage occupe avec les siens un F3 contre un loyer de 1000 Da/mois parce que son salaire est de 10 000 Da, alors qu'une autre famille occupe un F2 et paie plus. La somme est prélevée à la source et mentionnée sur la fiche de paye. La crise économique mondiale Quatorze ans après, soit en 2009, évoquant la crise économique, l'ambassade se sépare de quelques-uns de ses employés algériens. Ceux-ci ont perdu leur contrat de travail à durée indéterminée au profit de la précarisation. Ils ont laissé le travail dans les bureaux de l'ambassade pour se retrouver dans les foyers de ses cadres logés sur place. Ils continuaient toutefois de verser le loyer directement à l'ambassade contre un simple reçu de paiement. Par la suite, c'est à travers la poste qu'ils sont invités à s'en acquitter. Les relations entre les deux parties se sont dégradées. «On nous fait chanter. On nous demande de choisir entre le travail ou le logement», assurent plusieurs locataires. La cessation de l'activité entraîne automatiquement l'obligation de restituer les clés des logements de fonction de Aïn Allah. En 2009, l'ambassade leur fait ainsi savoir qu'ils avaient une année pour vider les lieux. Les choses ont donc connu une nouvelle tournure fin 2010. Devant leur refus de rendre les clés, plusieurs familles ont été poursuivies en justice en référé. A ce jour, un seul locataire a accepté de s'en aller. «Il est parti parce qu'il possède un logement ailleurs», expliquent ses voisins. Les autres refusent de le suivre tout simplement parce qu'ils n'ont pas où aller. En parallèle, l'ambassade a ouvert un chantier pour la construction de l'école primaire internationale Alexandre-Dumas à proximité des bâtiments. Le permis de construire a été délivré par l'APC de Dely Ibrahim le 13 mai 2010 et le projet devrait être livré durant le premier trimestre 2012. C'est d'ailleurs grâce au dossier introduit pour le permis de construire que l'APC a pu savoir que dans l'acte de propriété du terrain figure un ensemble immobilier. La volonté d'expulser les locataires serait donc étroitement liée à ce projet d'école internationale. La situation s'est compliquée un peu plus quand les services de presse de l'ambassade ont qualifié, la semaine passée, les locataires de «squatteurs» dans les colonnes du Jeune Indépendant. C'était un mot de trop ! «Au départ, tout le monde a peur de parler. Chacun se réfugiait dans son coin et tentait de s'en sortir tout seul. Seulement, avec la multiplication des pressions, les locataires se sont réunis en groupe uni derrière un seul objectif, celui de se maintenir dans la cité quoi qu'il en coûte», explique un autre résidant. Mercredi, le collectif des habitants a rendu publique une lettre ouverte à l'intention du ministre des Affaires étrangères où ils lui demandent de faire cesser cette «menace d'expulsion». «Nous vous prions de bien vouloir faire cesser ces menaces qui pèsent en permanence sur nos têtes et qui mettent en péril notre avenir et celui de nos enfants. Nous sommes disposés à honorer l'acquisition de notre logement auprès de l'organisme propriétaire des biens et en vertu des lois et règlements en vigueur en la matière», s'engagent-ils.