La grande Amérique qui cède, en bonne et due forme, le commandement des opérations militaires aériennes en Libye aux Vingt-huit membres de l'Otan et le duo franco-anglais qui se bat pour ne pas perdre la main sur une initiative politique que l'Italie voudrait à sa botte. Le bloc occidental n'y échappera pas, il va devoir se remettre au replâtrage de ce que Kadhafi a réussi à fracturer. Par où commencer ? Certainement par ces lézardes sur les murs de la forteresse européenne que Berlin creusera de ses deux mains, au fil de sa désapprobation quant à toute participation à une action militaire pour sauver les Libyens de la tenaille assassine de «Kadhafou» ? En plus du nuage de Fukushima qui a irradié les élections en Allemagne, au profit des Verts, la chancelière Merkel se devait de dénicher la parade pour ne pas sombrer dans le golfe de Syrte. Croisade pour croisade, le gouvernement allemand s'est déclaré favorable à envoyer des soldats supplémentaires sur le front afghan afin de permettre à l'Otan de mener à bien sa mission dans la Jamahiriya libyenne. Une initiative louable, mais insuffisante pour faire redémarrer le moteur franco-allemand. Panne sèche de sous la porte de Brandebourg et voici que Paris continue sa «grande vadrouille» en compagnie de l'Anglais David Cameron. De toute manière, l'Europe de la Défense, tout comme sa diplomatie, n'est toujours pas prête à se présenter sur la ligne de front sous un même uniforme. Aussi, à Londres, où il est question aujourd'hui même de débattre de l'initiative politique que Français et Britanniques voudraient en osmose avec la proposition de sortie de crise que l'Union africaine a concoctée en Ethiopie. On ne sait trop si les Vingt-sept vont signer le chèque de 260 000 euros dont l'UA a besoin pour entamer l'application de son plan, mais tout laisse croire que le couple franco-britannique ne va pas se laisser berner par ces promesses de cessez-le-feu, stipulé dans l'offre de l'UA, et que le clan Kadhafi n'est pas disposé à tenir. Maintenant que les opérations militaires aériennes sont l'affaire de l'organisation du Danois Rasmussen, Paris et Londres risquent-ils de perdre toute influence politique en Libye, l'UA pourrait bien négocier une trêve avec le régime de Kadhafi au nom des Vingt-huit de l'Otan ? Cela n'aurait pas été chose impensable mais il semblerait que l'initiative africaine a accusé du retard. Pis, les Turcs viennent d'avancer leur pion. Ankara vient de proposer sa médiation dans le cadre de l'Otan, de la Ligue arabe et de l'Union africaine. En tant que seul membre musulman de l'Alliance atlantique et jurant de ne pas tirer une balle contre les Libyens, le Premier ministre Erdogan a-t-il une chance de rafler la mise face à Nicolas Sarkozy ? Déjà froissé par le plan germano-italien, qui propose en outre l'exil des Kadhafi, le Président français, qui a claqué la porte de l'adhésion à l'UE au nez des Turcs, se voit planter un second couteau dans le dos. Sa première douleur il l'avait ressentie après le forcing d'Ankara auprès de ses pairs de l'Otan, en vue du transfert du commandement militaire. Toujours est-il que le régime de Tripoli doit adresser des signes encourageants pour que la Turquie, si elle venait à devenir officiellement médiatrice, puisse défendre l'indéfendable cause du clan Kadhafi. Pour avoir accepté d'envoyer des navires de guerre dans le Golfe de Libye, le gouvernement d'Erdogan sera-t-il privé de ce rôle si important à sa vision de leadership régional que l'Iran voisin est en train de perdre par la force des vents démocratiques du monde arabe ? Si leur plan venait à ne pas faire le poids, l'Allemagne et l'Italie (ancien colonisateur) soutiendront-elles l'offre de médiation de la Turquie juste pour faire couler l'Europe de la Défense, avec l'initiative politique du tandem Sarkozy-Cameron ? L'Otan saisirait-elle sa chance de passer du tout-militaire au tout-diplomatique, quitte à déchaîner la rue arabo-musulmane.