C'est dans les moments difficiles que l'on peut différencier les bons des mauvais amis. Mouammar Kadhafi passerait son temps à établir deux listes distinctes, l'une réservée à ses soutiens francs, l'autre à ses ennemis déclarés. Après avoir invité la Russie – où la famille Kadhafi est devenue indésirable – et la Chine coupable, selon Alain Juppé, du blocage au Conseil de sécurité, à venir se servir directement à la pompe, c'est au tour des Allemands d'être choyés par le Guide. Pour avoir tourné le dos à Nicolas Sarkozy et pour avoir enterré l'idée de frappes chirurgicales défensives, Angela Merkel peut demander les contrats qu'elle veut à la Libye. Le distributeur de marchés financiers à la tête du client aurait-il la mémoire courte ? Les Vingt-sept de l'UE ont pris une décision commune (c'est tellement rare) de délégitimer son régime et de réclamer son départ. L'attitude de Berlin serait la moins mauvaise si le colonel Mouammar venait à la comparer à l'incompréhensible «trahison» de Rome et de Silvio Berlusconi. Toujours sous le choc, son vieil ami libyen espère une reconsidération des liens économiques et financiers avec l'Italie. Rupture totale pour ce qui est de la France. Aux yeux de Kadhafi père, son ami Nicolas Sarkozy ne mérite même plus une quelconque évocation, le cas du maître de l'Elysée relèverait de la psychiatrie. Au regard de Kadhafi fils, le président de la Ve République n'est qu'un «clown» qui doit d'abord rendre l'argent de sa campagne présidentielle que le pouvoir libyen lui aurait offert ou prêté, histoire de continuer de régner sans partage en s'abritant sous le parapluie tricolore. Quant à la famille royale de Grande-Bretagne avec laquelle Kadhafi a tenté de devenir ami intime, elle peut déjà faire une croix sur de futurs accords économiques. Fort de la zizanie qu'il a contribué à semer au sein de la communauté européenne, dont la diplomatie ne semble pas faite pour parler d'une même voix, Kadhafi a même invité ses détracteurs à venir l'attraper s'ils le peuvent. L'homme est convaincu que les Occidentaux n'interviendront pas militairement du fait qu'Américains et Européens se rejettent la balle de qui doit monter en premier la ligne de front. Alors que Washington souhaite que ce soient leurs alliés transatlantiques qui conduisent un éventuel commandement militaire anti-Kadhafi, Bruxelles attend que la grande Amérique prenne les choses en main comme lors des frappes de l'Otan en Bosnie. C'est vrai qu'en temps de crise, il est plus difficile de s'engager sous le couvert du libérateur qui attend les dividendes. Le guide libyen peut admirer son chef-d'œuvre d'une division double, infligée à l'Occident en général. A ce point, gagner la bataille signifie-t-il gagner la guerre ? Kadhafi est certain que les Occidentaux ne sont pas prêts à réitérer l'aventure militaire irakienne. Leur crainte majeure se situant aux frontières de la Libye qu'ils préfèrent voir d'abord totalement perméables avant d'intervenir. Pas question donc de s'engouffrer à nouveau dans la gueule du loup. Mouammar Kadhafi est aussi capable, tout comme feu Saddam Hussein, d'ouvrir grands ses bras à des nationalistes arabes, aux combattants islamistes étrangers et à ces seigneurs de guerre africains qui viendraient lui prêter main-forte et «irakiser» la Libye. Le Guide choisit de le crier du haut de la terrasse de sa forteresse : si les Occidentaux attaquent, la Libye quittera sans regrets l'alliance internationale contre le terrorisme. Pis, elle se ralliera à Al Qaïda. Mauvaise nouvelle pour le menaçant roi, l'un des principaux théoriciens de l'organisation a appelé les Libyens «à poursuivre leur révolte afin de plonger Kadhafi dans l'abysse de la souffrance». Les Occidentaux feront-ils confiance à Al Qaïda qui leur a promis de nouveaux bourbiers en terre d'islam ? Sans l'assurance que les pays arabes et les pays africains joueront le jeu de la «neutralité», les Occidentaux n'auraient plus le choix que d'offrir la victoire à Kadhafi. A moins d'user de la force de l'unilatéralité.