Tamanrasset, une destination touristique par excellence, risque de «chômer» pour longtemps, si des mesures ne sont pas prises sur divers plans, notamment celui de la promotion et des infrastructures hôtelières. Les milliers de touristes étrangers qui sillonnaient la wilaya entre octobre et janvier, période de la saison touristique au Sud, ont déserté les lieux cette année. Les campagnes médiatiques menées par des médias étrangers sur l'insécurité dans la région du Sahel ont été pour beaucoup dans cette «fuite». Les plus touchés par cette situation parlent de confusion. «En donnant des informations sur le Mali tout en montrant les montagnes du Hoggar, des médias français ont encouragé les touristes à éviter la destination Algérie», affirme l'un des pères vivant dans l'ermitage du père Foucauld, au sommet de l'Askrem. Des sites interdits, les voyagistes interpellent l'Etat Cette campagne médiatique n'est pas la seule raison de la fuite des touristes étrangers, puisque la dernière mesure interdisant l'accès aux plus importants sites touristiques qui drainaient, autrefois, une foule nombreuse a été le coup de grâce pour ce secteur, l'une des principales ressources de la wilaya mais également de plusieurs dizaines d'agences touristiques. La sonnette d'alarme est tirée. Le chômage menace des centaines de personnes. Les propriétaires des agences de voyages interpellent l'Etat. Ils lui demandent de prendre des mesures urgentes pour sauver le tourisme et leur activité. «Nous demandons à l'Etat d'intervenir vite pour éviter la faillite du secteur. Que l'Etat crée des entreprises de tourisme pour assurer la pérennité du secteur. Nous sommes disposés à travailler selon cette formule ou une autre proposition pourvu qu'on ne laisse pas le marché mourir», nous a dit Mouloud Ourzia, directeur de l'agence Tara Naouene. Ce cri de détresse est lancé par des professionnels qui estiment qu'«il n'y a aucune autre solution à envisager». Les autres secteurs d'activité comme l'industrie et l'agriculture ne sont pas porteurs de postes d'emploi pour eux. Les propriétaires des agences relèvent que la classification des agences de voyages n'a pas eu d'effet direct sur leur travail. «Nous sommes convaincus que l'interdiction d'accès à des endroits du Tassili et de Djanet est momentanée. Ça peut se rouvrir un jour ou l'autre, mais la situation reste quand même inquiétante. C'est un coup fatal pour des milliers de personnes», expliquent-ils. L'Askrem est le seul site qui reste ouvert aux touristes. Sur la route vers ces montagnes magiques, situées à 80 km du centre-ville de Tamanrasset par piste, plusieurs chantiers chargés de la réalisation d'une route en béton sont toujours là. Un vieux projet des années 1970, mais jamais concrétisé. Des retouches ont été également faites sur certains tronçons pour faciliter la circulation des véhicules. Des jeunes Touareg gardent leurs chameaux qu'ils utilisaient, autrefois, dans le transport des touristes à travers les différents circuits. «Nous nous contentons de faire l'élevage en attendant des jours meilleurs», nous ont dit ces guides, eux aussi rattrapés par le chômage en raison de l'absence de touristes à accompagner à travers des circuits qu'ils ne connaissent que très bien. Des sites inaccessibles aux terroristes Selon des rumeurs malveillantes, l'impressionnante montagne géante de Tizouyek est réputée d'abriter des terroristes, mais sur le terrain c'est tout à fait le contraire, selon des guides de touristes. «Dans un passé récent, ces hauteurs étaient la destination privilégiée de milliers de touristes pour l'escalade. Comme vous voyez, je passe par là une fois chaque deux jours, il n'y a aucune trace de terroristes», nous a affirmé un guide, ajoutant que «plusieurs autres sites plus beaux encore sont aujourd'hui désertés et méconnus des acteurs du tourisme». «Il n'y a que les Touareg qui connaissent ces endroits. Ils sont impénétrables même pour les terroristes», dira-t-il. Des interrogations sont ainsi soulevées quant aux raisons de l'interdiction des circuits les plus prisés par les touristes, alors qu'un renforcement de la sécurité est constaté sur le terrain. «Nous passons par la caserne de Tbarnanid pour aller à Djanet. Trois casernes sont installées à Aïn Guezzam, Idless et Tazrout pour sécuriser le site du Tassili. Le passage vers Moulay Lahcen est sécurisé par la caserne d'Amedjel et de Moulay Lahcen aussi. Dans ces régions du nord de Tamanrasset, l'interdiction est en vigueur», nous a expliqué M. Ourzia, précisant que «les autres circuits au sud de Tamanrasset, sur les frontières du Mali, de la Mauritanie et du Niger sont ouverts aux touristes». Il a affirmé qu'il continue de faire ces trajets sans aucune difficulté, alors qu'il ne peut pas s'aventurer à aller sur les sites qui sont ouverts comme Tamssaour, Nangharhouh et Ahanet. «On demande l'ouverture de la destination de Tfadest pour qu'on puisse travailler un peu. C'est une région riche en sites touristiques et archéologiques que les touristes aiment énormément», a-t-il suggéré. Inquiétante situation du tourisme Le gérant de Tara Naouene regrette la situation du secteur du tourisme en Algérie qui a pourtant tous les atouts nécessaires pour se développer. «Nous avons des sites extraordinaires qu'on ne trouve nulle part ailleurs», a-t-il dit, soutenant que «certains pays ont bâti une industrie touristique rien qu'en développant de petits services. Ils n'ont pas les richesses que nous possédons». Afilel est un site merveilleux où pousse une diversité d'arbres sur le lit d'oued et où vivent plusieurs types de petits poissons. Un paysage décoré de grandes roches de diverses formes. Ce site est géré par l'Office du parc national de l'Ahaggar (Opna). Les conditions de travail de l'agent conservateur mobilisé sur place pour la préservation du site ne sont pas des meilleures. Son bureau n'est autre qu'un conteneur qu'il occupe à longueur de journée et... de nuit. Il ne peut d'ailleurs pas recevoir de personnes à l'intérieur. Ce qui l'oblige à être tout le temps à l'extérieur, même si l'activité a beaucoup baissé ces derniers temps. Pour sa part, le directeur de l'hôtel public Tahat, Mouloud Arab, souligne la régression de la formation touristique. Il regrette aussi et notamment «l'absence d'une réelle prise en charge» du secteur touristique notamment en termes de formation. «Nous avions le meilleur institut de formation touristique en Afrique qui avait formé les acteurs du secteur de tous les pays voisins. Mais actuellement, il n'assure plus la même qualité de formation», a-t-il avoué en relevant que «notre pays a de beaux paysages selon les spécificités de chaque région qui offre des destinations touristiques alléchantes». Manque d'infrastructures et coût élevé du transport Le problème de l'insécurité n'est pas le seul mal dont souffre le tourisme à Tamanrasset en particulier et dans le sud du pays en général. L'absence d'infrastructures d'hébergement est une autre faille qu'il faut combler. Deux hôtels seulement sont opérationnels, à savoir Tahat et Bourennane, en plus de quelques autres auberges qualifiées de dortoirs puisqu'elles ne sont pas destinées aux touristes. Avec 148 chambres offrant 296 lits, un restaurant de 150 couverts, un salon-bar pouvant accueillir 60 personnes, l'hôtel public Tahat, inauguré en 1978, reste la principale destination des touristes locaux et étrangers. La ville de Tam est loin de répondre aux besoins des clients. «Nous avons reçu 14 447 personnes dont 2325 étrangers en 2010, ce qui donne un taux d'occupation de 26%», explique M. Arab, directeur de cet établissement. Par ailleurs, il nous a fait savoir que l'hôtel connaîtra une opération de réhabilitation. Cette opération sera lancée cette année. Elle portera sur «l'extension des chambres, la réalisation d'une piscine, d'une salle de conférences, d'un bloc administratif et d'un bloc pour l'hébergement du personnel de l'hôtel», a-t-il dit. «Cette opération va réduire les capacités d'accueil de l'hôtel, dont le nombre des chambres passera de 148 à 108, mais nous gagnerons plus d'espace à mettre au profit de nos clients», a-t-il souligné. L'enveloppe dégagée pour ce projet est estimée à 95 milliards de centimes. Ce gestionnaire donne d'autres explications à «la fuite» des touristes. Le prix élevé du billet d'avion, celui des séjours touristiques et des circuits proposés sont selon lui «autant de contraintes pour le tourisme au Sud et ne favorise pas le déplacement de masse». Outre la défaillance de la compagnie aérienne dans l'organisation des voyages au Sud, marquée par les retards et les annulations répétitifs, on évoque aussi la cherté des tarifs. Le billet d'avion Air Algérie coûte près de 30 000 DA. C'est excessif. Cela n'encourage pas le déplacement des touristes locaux. Pour un tarif variant entre 6000 et 10 000 DA la journée, les agences de voyages proposent plusieurs circuits aux touristes voulant découvrir la région. Plusieurs formules sont proposées pour chaque séjour. Il y a des séjours de quatre jours au Hoggar, entre une semaine et 15 jours au Tassili, et de même pour Djanet, une semaine ou deux pour Tfadest. Des méharées sont proposées pour certaines destinations comme un séjour de 20 jours vers le Tassili et Madest, une semaine à l'Askrem, et vers Tfadest. «Nous prenons tout ce qu'il faut en nourriture, tentes et autres équipements dont nous aurons besoin pendant le séjour», nous explique Mouloud Ourzia. Réduire les tarifs pour attirer le touriste local Le travail des voyagistes n'est pas exempt de tout reproche. Sur le terrain, il y a des lacunes et leur gestion est montrée du doigt par les touristes eux-mêmes. En effet, sur les 80 voyagistes recensés seule une dizaine est réellement opérationnelle sur le terrain de la promotion du tourisme. «Beaucoup de gens utilisent la tenue et le langage des Touareg comme fonds de commerce, alors qu'en réalité ils n'ont rien à voir avec la région et la culture de la région», dira un agent du secteur. D'autres évoquent la menace du travail informel dans le secteur qui prime sur l'activité transparente. Pour redresser la situation de ce secteur qui peut s'avérer porteur pour l'économie nationale, des réflexions sont en cours pour attirer de nouveau les touristes et lancer cette activité sur de bonnes bases. «Il est question d'encourager le tourisme local. Les gens du Nord méconnaissent le pays, mais les quelques personnes que nous recevons font beaucoup pour la promotion du secteur. C'est pour cela qu'il faut faire en sorte d'intensifier le déplacement des gens des autres régions du pays dont l'apport est plus que précieux.» Pour atteindre cet objectif, des négociations sont en cours pour faire baisser les tarifs d'avion. «On va faire en sorte de le diminuer de 10 000 DA pour que le billet soit cédé à 19 000 DA», apprend-on de sources proche du dossier. Ceci sans oublier l'organisation des vols vers la région. L'organisation des festivités culturelles, artistiques et même scientifiques est une autre formule qui peut aider à faire connaître la destination. Ce sont des objectifs pas du tout impossibles pour un pays qui a réussi l'exploit d'alimenter en eau Tam à partir une canalisation sur… 700 km.