Le président d'Humilis, Liès Kerrar, spécialisé en services de conseil en ingénierie financière et en investissements liés au marché émergent algérien, soutient l'idée du ministre des Finances Karim Djoudi sur l'épargne. Il nous explique dans cet entretien que «le supplément de rémunération accordé récemment aux fonctionnaires pourrait ne pas susciter d'inflation s'il était transformé en épargne plutôt qu'en consommation». Le Temps d'Algérie : Le ministre des Finances compte sur l'épargne des Algériens pour éviter l'inflation. Que pensez-vous de cette démarche ? Liès Kerrar : Je pense que la déclaration à laquelle vous faite référence ne constituait qu'un des leviers envisagés pour prévenir l'inflation. Il est vraisemblable que le ministère des Finances et nos autorités monétaires ont un plan de contrôle de l'inflation qui suppose l'utilisation de plusieurs leviers, car ce que vous évoquez ne constitue pas toute la réponse. De plus, la transformation des augmentations de salaires en épargne demande plusieurs choses pour que cela se réalise. Car, effectivement, sur papier, le supplément de rémunération accordé récemment pourrait ne pas susciter d'inflation s'il était transformé en épargne plutôt qu'en consommation. Cela dépend cependant du comportement des ménages, qui agissent selon leurs besoins et perceptions. On ne peut pas dicter cette transformation en épargne (comme d'ailleurs pas grand-chose d'autre en économie). On peut juste créer l'environnement et mettre en place les incitatifs à cet effet. Il faut savoir aussi que de tels incitatifs ne peuvent évidemment avoir de l'effet que si les ménages ont satisfait leurs besoins de consommation de base (nourriture, logement, santé, éducation des enfants...). En général, les choix ne se font pas entre les besoins de consommation de base et l'épargne, mais les biens de consommation discrétionnaires et l'épargne. Les ménages ne se demandent pas s'ils vont remplir leur couffin ou épargner. Ils vont, s'ils sont incités à le faire, choisir entre changer de voiture (ou de téléviseur) et épargner. Et pour cela, il faut donc inciter les ménages à épargner. La fiscalité est le principal levier généralement utilisé. La plupart des pays ont un système d'incitation à l'épargne. Le principe est simple. Le contribuable n'est pas imposé sur l'argent qu'il épargne, c'est-à-dire ce qui est placé en bourse, dans des fond communs de placement, des SICAV. En fait, pour le salarié (qui paie de l'IRG directement déduit de son salaire), cela revient à faire des économies d'impôts en épargnant plutôt qu'en consommant son revenu. Pour l'instant, nous n'avons pas un tel système. Mais, si l'on veut d'un côté encourager l'épargne et de l'autre diriger cette épargne vers le développement de nos entreprises, il faudra tôt ou tard que l'on mette en place les mécanismes incitatifs adéquats. L'autre condition est d'avoir des alternatives d'épargne, et cela appelle le développement des marchés financiers afin de fournir des produits d'épargne aux ménages. Les capacités d'épargne des Algériens sont-elles importantes ? Le ministère des Finances et les autorités monétaires ont probablement accès à plus de données que nous pour pouvoir estimer l'épargne. Nous, analystes, nous ne pouvons qu'émettre des hypothèses tirées de notre observation du marché. A cet effet, tous les indices portent à croire que l'épargne déjà disponible sur le marché est importante, même si elle ne provient pas nécessairement des catégories de ménages qui ont bénéficié d'augmentations salariales récemment. L'inflation importante du foncier et de l'immobilier est un indice de l'importance de l'épargne disponible, tout autant que le nombre croissant de terrains, locaux et logements non exploités. Le foncier et l'immobilier sont utilisés comme produits de placement car ils sont perçus comme les seuls produits d'épargne disponibles. Toute cette épargne se dirige vers ce secteur et cela a une tendance inflationniste sur les prix des terrains et immeubles. Selon vous, est-il intéressant de placer son argent dans les banques algériennes ? Les taux d'intérêts ne sont probablement pas élevés, mais il y a peu d'autres choix de placement. L'immobilier est une alternative de placement si on arrive encore à trouver des biens qui sont valorisés de façon économiquement justifiable. Le marché boursier et obligataire sont des options de placement, mais il y a encore trop peu de titres accessibles sur le marché. C'est notamment pour cela qu'il est utile de se mettre l'œuvre pour développer nos marchés financiers et multiplier les produits de placement. Certains estiment que la culture d'épargne n'est pas ancrée dans la société algérienne en raison des taux d'intérêts pratiqués par les banques, des procédés interdits par la religion musulmane. Faudrait-il dans ce cadre développer la finance islamique pour récupérer des sommes importantes d'argent échappant au circuit bancaire ? Je ne suis pas d'accord avec les explications axées sur le «manque de culture d'épargne ou boursière» des algériens. Les algériens savent épargner, savent faire leurs calculs et savent transiger. N'oublions pas que nous avons une longue tradition commerciale ancrée dans notre patrimoine culturel. D'ailleurs, lorsqu'il y a eu des émissions d'obligations et d'actions, les particuliers ont acheté les titres lorsqu'ils ont considéré que c'était une bonne alternative de placement. Pour ce qui est de la préférence de produits «islamiques», l'achat d'actions cotées en Bourse est un produit «islamique» par excellence. En achetant une action, on est associé, c'est-à-dire «charik». Aussi, il est vrai qu'on peut développer d'autres produits comme les sukuks. Chez Humilis, nous avons travaillé sur des alternatives qui permettent de mettre en place de façon relativement simple le cadre juridique nécessaire pour le développement de tels produits. Entretien réalisé par