Y aurait-il une guerre civile après celle d'Irak, post-Saddam ? A chaque fois qu'un vent souffle sur un pays arabe, des voix s'élèvent à l'Est pour prévenir contre la tournure dramatique que pourrait prendre le droit des peuples à réclamer pacifiquement plus de libertés et de démocratie. Point de guerre civile en Tunisie et en Egypte, en attendant de voir ce qui se passera au Yémen si le président Ali Saleh venait à quitter le pouvoir qu'il a dirigé durant 32 ans avec, paraît-il, cette même légitimité constitutionnelle sur laquelle il se repose pour aller jusqu'à la fin de son mandat. Parce que les élections au Yémen ont toujours été libres et transparentes, un modèle de démocratie ? Le clan de Saleh préfère taire ce passé peu glorieux et qui n'est pas l'apanage du seul régime de Sanaa. Sauf que les récents cris d'alerte lancés du haut du dôme du Kremlin ne concernent pas le Yémen, mais bien la Syrie qui a fini par être obligée de lever l'état d'urgence. Ce qui devait rétablir le droit à manifester pacifiquement. C'est loin d'être le cas. Encore une fois, Bachar Al Assad vient d'être piégé par les décennies de retard en matière de réformes politiques. Ne pouvant taper plus fort sur la table que les caciques et amis de son défunt père, la «victime de la dérive monarchique» de son feu géniteur place (sans le vouloir ?) l'Etat syrien dans l'urgence. Le temps presse, le dilemme de la levée de l'état d'urgence et le droit à manifester doit être résolu au plus vite. Sans tirer une balle réelle, Hosni Moubarak vient d'être accusé d'incitation à la violence qui a fait quelque chose comme 846 morts. Parce que le placard ne peut pas contenir un nombre aussi élevé de cadavres que le jeune Bachar doit y réfléchir à deux fois avant de donner ordre d'aller mater une prétendue «rébellion armée». Certes, il n'est pas question ici de tomber dans le décalage monstre des comptages – le bilan officiel faisant état de 3 morts et de 28 blessés alors que les comités locaux de coordination parlent de 88 tués lors des manifestations de vendredi dernier –, néanmoins un mort est un mort. Est-ce la faute au régime syrien, qui se trouve complètement dépassé après la chute du mur de la peur, ou est-ce celle de cette main étrangère qui signerait des chèques à blanc pour l'opposition syrienne ? La Fédération de Russie, elle, sait qu'une chose, les événements actuels chez son allié syrien risquent de dégénérer en guerre civile. Quant aux slogans «Liberté ! Fraternité !» ou «Arabes, chrétiens, Kurdes, tous ensemble», ils ne relèveraient que de la pure fantaisie. Mikhaïl Marguelov, président de la commission pour les affaires internationales du Conseil de la Fédération de Russie, est certain de ce qu'il avance : des hostilités sur le territoire d'un Etat aussi important dans le monde arabe ne manqueraient pas d'affecter les pays voisins, le Liban en premier. C'est vrai que depuis que le Hezbollah chiite a réussi à faire imploser le gouvernement d'union nationale, les réformateurs, qui seraient des pro-occidentaux-nés, sont navrés de ne pas pouvoir porter plus loin la démocratisation. Quant à ceux d'Iran, ils demeurent sous l'œil de Téhéran, l'autre allié de Moscou. Bref, il faut sauver le soldat Bachar et son clan alaouite, les «durs» alliés arabes de la Russie et de la Chine doivent survivre au naufrage de l'occidentalisation que les pays du Golfe apprécieraient à sa juste valeur. Surtout que Fidel Castro a fini par écraser son cigare et que le soviétisme serait en train de partir en fumée. Après avoir levé l'état d'urgence, la Syrie devrait éviter d'être un Etat dans l'urgence, au point de ne plus servir de rempart. Cette fois-ci non pas contre le djihadisme mondial mais contre le néo-socialisme que Vladimir Poutine songerait déjà à défendre s'il redevenait Président.