La formule est incisive, elle est même un tantinet rafraîchissante. Dans la bouche d'un ministre de l'Intérieur, «en finir avec la république des plantons» est presque une révolution du langage d'un personnel politique qu'on croyait installé jusqu'au jugement dernier dans un lexique tout de platitude et d'emphase. M. Ould, plus réputé pour ses approximations déroutantes que pour la pertinence de ses formules, a lâché ça dans une réunion avec les walis dont on attendait certes quelques remontrances de circonstance, sans pourtant espérer une liberté de ton qui n'est pas non plus sa marque de fabrique. Au-delà de la nouveauté dans le langage et de la fermeté dans la décision qu'elle pourrait logiquement induire, il y a peut-être dans cette forme du discours quelque volonté politique de s'attaquer à l'une des plaies les plus douloureuses de la gouvernance du pays : la bureaucratie et ce qu'elle implique comme injustice, passe-droits et corruption. Le problème est qu'en Algérie comme dans d'autres pays, partout où sévit la «république des plantons», ce n'est jamais la faute des… plantons ! Et insinuer que ce sont les plantons qui en profitent va encore plus loin dans le non-sens. Mais c'est le propre des systèmes bureaucratiques qui développent quasi naturellement leurs moyens de défense. Parmi ces moyens, figure en bonne place la culpabilisation exclusive des rouages les plus vulnérables de la machine bureaucratique et, l'un dans l'autre, le dédouanement presque auto-flagellatoire des sommets de la hiérarchie. On les sait inaccessibles parce qu'ils sont incompétents et parce que les problèmes du citoyen sont le dernier de leurs soucis et parce qu'ils n'ont rien à tirer des humbles. Mais c'est plus commode d'accabler le planton. Son embarras dû aux instructions implicites du chef devient de la roublardise, son souci légitime de sauvegarder son poste un excès de zèle et le sandwich proposé pour l'amadouer de la grosse rapine. Le reste du discours est connu. On y apprend chaque jour qu'il est plus facile de voir un ministre qu'un ténébreux chef de service, que le courrier ne parvient jamais aux hautes autorités qui répondent toujours quand une plainte tombe miraculeusement sur leur bureau, que le PDG est toujours un fils de bonne famille contrairement à sa secrétaire et que le wali ne peut rien faire face à l'incurie des petits employés. C'est rarement vrai, mais c'est apparemment toujours commode. Et Monsieur Ould Kablia, plus que tout le monde, doit le savoir. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir