Il s'appelle Brahim, il est âgé de trente ans, habite Ouargla et il vient de se donner la mort par pendaison. Brahim aurait très mal vécu son «retour» au statut de chômeur après une courte illusion pendant laquelle il a cru qu'il était sorti de la misère. Cette illusion furtive, il la doit à un emploi dans une grande multinationale pétrolière qui, manifestement, n'a pas renouvelé son contrat parvenu à terme. En croyant avoir décroché la lune, le jeune Ouargli a finalement décroché la mort. A Ouargla, à Hassi Messaoud, à Hassi R'mel, dans toutes les villes pétrolières ou gazières et leurs périphéries, il y a des milliers de Brahim, même s'ils ne se suicident pas tous. D'abord, ce sentiment d'injustice qui a parfois été accompagné de colères exprimées avec plus ou moins de véhémence et rarement terminées dans le bonheur : souvent à juste titre, les «jeunes du Sud» se voyaient exclus d'une prospérité qui s'étale à leurs pieds sans pouvoir en tirer quelque chose pour améliorer un quotidien qui plus est l'un des plus, sinon le plus indigent du pays. On a beau dire que les travailleurs du Nord partis gagner leur vie là-bas ne roulent pas sur l'or, qu'ils ont les compétences que les «autochtones» n'ont pas, qu'ils ne font preuve d'aucune arrogance vis-à-vis des populations locales. On a beau dire, la prospérité, toute relative qu'elle soit, quand elle côtoie la misère, est toujours arrogante. Pour le reste, ce ne sont tout de même pas les habitants de Hassi Messaoud, de Ouargla ou de Bordj Omar Driss qui ont choisi d'être sous qualifiés et de manquer de compétences admissibles aux emplois savants. Et ce n'est pas toujours évident que les «gens du Nord» obtiennent leurs postes avec le seul critère du mérite professionnel. «Brahim a commis l'acte fatal au moment justement où la wilaya de Ouargla vit au rythme de manifestations cycliques organisées par les chômeurs de la localité pour protester contre leur exclusion du marché de l'emploi au profit des gens du Nord qui interviennent dans les zones pétrolières», nous apprend le collègue qui a rapporté l'information publiée dans notre édition d'hier. C'est dire que le sentiment d'injustice est toujours là et que les colères qui l'accompagnent sont toujours aussi imprévisibles, puisque, nous apprend encore le collègue, dans la nuit de mardi à mercredi dernier, les émeutiers ont incendié un commissariat de police d'un quartier situé dans la périphérie de la ville de Ouargla. C'est sûrement moins grave que de se pendre à trente ans, mais les raisons doivent être les mêmes. Parmi les «émeutiers», la majorité n'a peut-être même pas eu l'illusion d'être sortie de l'auberge. Mais si c'est pour finir comme Brahim… Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir