Cette protestation risque de faire tache d'huile dans le Grand Sud. «Rentrez chez vous, tout le monde sera embauché Inch Allah». Cet agent de CNS voulait rassurer les jeunes Ouarglis qui ont investi les rues pour exiger un travail, mais il n'est point rassuré lui-même. «On craint le pire» nous dit-il. Ouargla, ou l'oasis du sud est plongée dans une escalade de violence depuis quelques jours. La colère longtemps couvée a fini par éclater, menaçant sérieusement le calme habituel du sud. Les revendications des jeunes témoignent du malaise qui existe au sein de cette société. Ici l'on exige «une part du trésor» qui fait vivre les 32 millions d'Algériens. «Est-ce un crime?» nous demande un jeune. Les chômeurs de la wilaya crient à la ségrégation. Pour eux, «le pouvoir est raciste». Ils n'arrivent pas à saisir les raisons qui font que les sociétés pétrolières les ont exclus des listes de recrutement. Les autorités locales crient à qui veut l'entendre qu'il s'agit là d'un malentendu. «Personnellement j'ai instruit les sociétés pétrolières à avantager la main-d'oeuvre locale», précise le ministre de l'Energie et des Mines. Lui emboîtant le pas, le directeur de Sonatrach de Hassi Messaoud nous déclare «qu'en aucun cas, son entreprise ne favorise les gens du nord». D'ailleurs «mon proche collaborateur est Ouargli», comme pour donner du poids à son argumentation. Pourquoi les jeunes s'en prennent-ils donc aux firmes pétrolières? Après un moment de réflexion, il réplique: «Il n'y a pas que Sonatrach à Hassi Messaoud mais plus de quarante multinationales», s'interrogeant sur les «attaques contre cette société nationale». Pour notre interlocuteur, il faudra renvoyer les 5000 employés de Sonatrach pour pouvoir satisfaire la demande locale. Autant d'arguments qui ne persuadent pas les chômeurs de Ouargla. La réalité est là «amère et injuste». Les gisements de Hassi Messaoud, les plus importants dans le monde, «prouvent que les autorités mentent». Comment expliquer l'existence de 6000 chômeurs dans une région pétrolière? Pourquoi la majorité des recrues viennent de l'extérieur? Les observateurs se sont pressés de donner des interprétations politiques à ces manifestations. Le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni parle lui de «manipulation». Mais rien dans ces précisions ne répond aux doléances des citoyens. Reléguer cette contestation à un simple prolongement de la campagne menée à partir d'Alger contre le président candidat ne ferait qu'approfondir le fossé. «Il n'y a rien de politique dans notre action, nous voulons uniquement un travail», lancent les jeunes. Les autorités locales se placent aux côtés des manifestants et stigmatisent le fait qu'uniquement 20 % du personnel activant dans les sociétés pétrolières sont de Ouargla. Les 80% autres sont des «nordistes» qui viennent d'ailleurs. Les Ouarglis se sentent lésés sur leur propre territoire. «On nous traite d'incompétents, c'est une insulte à l'égard de cette population». Ouargla réclame depuis une décennie un Institut des hydrocarbures pour pouvoir caser ses enfants dans les firmes pétrolières. Le ministre de l'Enseignement supérieur a exclu cette éventualité. «Cette opération nous coûterait très cher», nous dira M.Haraoubia. «Plus chère que les salaires des cadres de Sonatrach?», réplique un correspondant local. Effectivement non. Une autre problématique qu'on devra expliquer aux Ouarglis. Ces derniers veulent savoir aussi pourquoi il y a uniquement trois communes qui sont raccordées au réseau de gaz naturel? Comment expliquer le fait que les employés les moins compétents soient mutés dans les ville du Sud? «Hassi Messaoud appartient à tous les Algériens. Ça ne saurait être la propriété de ses habitants», clame un nordiste. Mais cette réflexion ne règle guère l'épineuse problématique qui ressurgit ces derniers jours. Ici les «nordistes» sont piégés entre deux réalités. La colère des autochtones d'un côté et le besoin de travail de l'autre. Un fait marquant, les manifestants se sont attaqués à des commerces privés appartenant aux nordistes. C'est le cas notamment de l'hôtel An Nasser qui a ouvert ses portes ce mois-ci. «Ils nous prennent pour des conquérants venus brader leurs richesses. Mais Ouargla fait aussi partie de l'Algérie aussi». Parmi les revendications soulevées par les insurgés de Ouargla, l'on retrouve la suppression du laisser-passer pour la wilaya de Hassi Messaoud. «On a critiqué les Marocains qui nous imposent le visa, or le pouvoir nous exige à nous Algériens un visa pour entrer à Hassi Messaoud. Quelle honte!», précise un jeune. Sur ce sujet, les autorités sont intraitables. «Le laisser-passer ne sera pas supprimé tant que la menace terroriste persiste.» L'intérêt national l'exige, omettant le temps d'un argument, les slogans «du terrorisme résiduel». La visite de Bouteflika qui a coïncidé avec l'anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures a été attendue de pied ferme par les citoyens. Ce dernier a décidé de passer sous silence cette contestation. Les Ouarglis le lui ont bien rendu en boycottant sa visite et ce n'est pas les 6,1 milliards de dinars alloués à la ville à l'occasion de cette visite qui vont calmer les esprits des Ouarglis. Cette protestation risque de faire tache d'huile dans le Grand Sud, dans la mesure où ce sentiment d'exclusion et de favoritisme existe à Adrar, Tamanrasset, Laghouat, etc. Quels arguments donnera Zerhouni à ces populations?