Le tourisme en Tunisie vacille. Les responsables de l'Office national du tourisme tunisien (ONTT) ne perdent pas espoir de ne pas rater la saison estivale, entamée depuis quelque temps déjà. «La saison n'est pas forcément compromise», estiment-ils. La révolution tunisienne, les quelques dérapages enregistrés par la suite et le conflit en Libye, ont sérieusement ébranlé ce secteur sur lequel repose l'économie de ce pays, destination privilégiée des touristes. Face à la défection annoncée des touristes européens notamment, les responsables chargés du tourisme en Tunisie comptent mettre les bouchées doubles pour sauver la première saison d'après «révolution». Ne cédant pas au défaitisme et jurant par tous les saints que les conditions de sécurité sont des plus optimales et se disant aptes à offrir aux touristes un séjour des plus confortables, les dirigeants de l'ONTT tablent sur l'afflux des Algériens pour combler le vide laissé par les Européens. Comment inciter leurs voisins à venir en masse passer leurs vacances ? En ce sens, une campagne de promotion d'une valeur de 700 DT a été décidée, pour la première fois, en direction du «marché» algérien. Cette campagne a été soutenue par des déclarations des officiels tunisiens louant les vertus du tourisme et déroulant «le tapis rouge» aux vacanciers algériens. Pour appuyer leur démarche, l'ONTT a été chargé d'organiser un séjour pour des journalistes de la presse nationale, dans l'espoir d'avoir un écho favorable de leurs prestations touristiques. Tapis rouge pour les voisins «Les quelques moments de turbulences qu'a connus la Tunisie au lendemain de la Révolution relèvent désormais du passé et la sécurité dans ce pays est en passe de s'améliorer progressivement», a tenu à assurer Affif Maherzi, directeur général adjoint de l'ONTT, lors d'une réception organisée pour les représentants des médias nationaux au siège du ministère tunisien du Tourisme, à Tunis. Mettant l'accent sur l'importance qu'accordent les politiciens au tourisme, il a affirmé que «le gouvernement et les partis politiques s'accordent à dire que le secteur du tourisme est d'un apport vital pour le pays». Evoquant le soulèvement du peuple ayant mis fin à 23 ans de règne du dictateur Ben Ali, il a estimé que cette révolution a le mérite de révéler au grand jour la précarité de certains choix mis en application précédemment dans le domaine du tourisme. «D'où la nécessité d'opérer quelques mécanismes de corrections», dira-t-il, expliquant que dans le sillage de la nouvelle révision de la politique du tourisme, «le marché algérien se replace en première position». C'est dans cette optique que s'inscrit d'ailleurs cette ambition nourrie par les responsables tunisiens n'ayant d'yeux que pour les vacanciers algériens qu'ils souhaitent accueillir en grand nombre cet été. Sachant que les estivants algériens sont habitués à rejoindre par route la Tunisie, ils insistent pour dire, une fois de plus, que l'itinéraire reliant les frontières algéro-tunisiennes jusqu'à la ville de Tabarka et même au-delà est des plus sécurisés. Selon eux, les histoires d'agressions suivies de vols qui avaient lieu dans un passé récent sur ce tronçon n'ont plus droit de cité actuellement. 2 millions de dollars de pertes sèches Les dirigeants de l'ONTT espèrent que les touristes algériens soient au rendez-vous et à même de remettre sur de bons rails un créneau jadis des plus florissants, mais qui est en passe de subir de sérieux revers de nature à précipiter sa ruine. En atteste d'ailleurs les pertes relevées d'ores et déjà estimées à 2 millions de dollars. Telles que commentées par le directeur adjoint de l'ONTT, ces pertes résultent «de l'annulation de 50% des réservations faites par des touristes majoritairement issus des pays européens». Ce manque à gagner fera dire au même responsable que le tourisme tunisien a périclité de 40% comparativement aux années précédentes. Un tel constant n'a pas été sans provoquer des pertes d'emplois, reconnaît le même responsable, expliquant que «le secteur de l'artisanat est le plus touché par la défection des touristes européens». Les marchands de produits d'artisanat se plaignent, en effet, de l'affluence «très timide» des touristes.
Des commerçants «pleurent» la défection des touristes européens Moncef, qui gagne sa vie en vendant des articles de souvenirs aux touristes, est l'un deux. Ne disposant pas d'un local fixe, il traîne sa silhouette maigre à longueur de journée d'un quartier à l'autre dans l'espoir d'écouler le maximum d'articles. Ce marchand ambulant que l'on a croisé en ce début juin à Sousse, ville touristique par excellence, se dit «profondément déçu» par le fait que son pays ne constitue plus la destination tant prisée par les touristes. Montrant du doigt un groupe d'étrangers qui passaient, il dira que «ce n'est pas avec aussi peu de touristes qu'il pourra rentabiliser ses journées». Le groupe de touristes qu'il suivait du regard s'éloignait peu à peu, passant d'une échoppe à une autre, prenant du plaisir à faire du lèche-vitrine. Lui aussi n'a pas tardé à quitter les lieux, indiquant qu'il est vraiment las d'attendre des touristes qui ne viennent pas. L'amertume de ce commerçant de Sousse n'est pas différente de celle d'autres marchands rencontrés au marché populaire, en contrebas du lieu-dit La Casbah au centre-ville de Tunis. Certains d'entre eux nous ont répondu que leurs gains s'amoindrissent de jour en jour en raison «du manque de touristes». Pis encore, quelques-uns de ces commerçants envisagent même de mettre la clé sous le paillasson, tant le bénéfice est réduit. C'est le cas de Mohamed, la quarantaine, qui vend des habits traditionnels. «Je travaille à perte», a-t-il dit. Et d'ajouter : «Voyez autour de vous, les touristes qui rôdent dans ce marché ne dépassent pas la vingtaine et la population locale à même de s'intéresser aux articles que je commercialise est vraiment infime (…) Plutôt fermer boutique et rester chez soi que de continuer à payer le loyer et supporter toutes les charges supplémentaires», a-t-il expliqué, dépité.
Morosité dans les villes Parler de défection des touristes européens qui n'ont pas été nombreux à se rendre cet été en Tunisie, c'est là une réalité facilement vérifiable dans les villes tunisiennes à vocation touristique par excellence. Il est question notamment des villes de Hammamet, Monastir et Sousse que nous avons visitées. Peu de touristes venus du Vieux continent séjournaient dans les palaces de ces localités offrant le confort comme nous l'avons constaté. L'animation nocturne dans ces infrastructures, qui dans un passé récent était de mise jusqu'à une heure tardive de la nuit, est réduite, cette année, à sa plus simple expression. Certains de ces hôtels n'ont même pas jugé utile de faire fonctionner leurs discothèques. Aux alentours de ces hôtels ainsi que dans les ruelles des villes visitées, les night-clubs sont vides et aucun mouvement de foule n'a été relevé une fois la nuit tombée. Autres temps, autres mœurs ! Dans un passé récent au niveau de ces mêmes endroits, le va-6et-vient des touristes ne cessait, nous dit-on, jusqu'à 2h du matin et même plus. Un des gérants d'un hôtel à Monastir affirme que cette ambiance morose était prévisible compte tenu de la révolution qu'a vécue ce pays. «Avec ce qui s'est passé, il était évident qu'on n'allait pas recevoir beaucoup de touristes comme les années précédentes», a-t-il déclaré. Par ailleurs, de l'avis d'un diplomate rencontré à Tunis, non seulement la Révolution s'est répercutée négativement sur le créneau du tourisme mais c'est toute l'économie de ce pays qui est «en proie à une véritable régression». Pour preuve, il citera les exportations tunisiennes vers la Libye qui enregistrent une perte sèche de 100 000 DT/jour. Reportage de notre envoyé spécial