A quelque chose malheur est bon. Selon les prévisions des expertises internationales, sous l'effet conjugué des changements climatiques et de l'augmentation de la consommation entre autres, les cours mondiaux des produits agricoles iront en augmentant durant les prochaines vingt années. Cette tendance à la rareté des produits et à leur cherté s'est déjà répercutée négativement sur la balance commerciale de l'Algérie. En effet, ces dernières années, le pays importe moins de produits agricoles en termes de quantité, mais les paie plus cher en termes de valeur. Cette situation qui rend le pays de plus en plus dépendant des marchés internationaux a donné à réfléchir à l'Etat. Après la crise alimentaire mondiale de 2006, les autorités ont décidé de s'occuper du secteur agricole, en axant leur stratégie sur la production aux fins d'améliorer la sécurité alimentaire de la population, qui consiste à produire localement jusqu'à 80% des besoins en la matière. C'est cette stratégie, mise en place depuis 2008, qui a été exposée hier au Forum Algeria Invest par l'expert et directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), Fouad Chehat. «La politique agricole algérienne et le renouveau rural se sont fixé en 2007 pour la première fois depuis 1962, de reconquérir la souveraineté alimentaire, indique M. Chehat. De l'indépendance à ce jour, la sécurité alimentaire a toujours été globalement assurée en Algérie. L'approvisionnement du marché est assuré grâce aux importations massives de blé, de viande ou de poudre de lait. «La dépendance du pays à l'égard des marchés mondiaux est un vieux problème. Avant, il y avait de l'argent et on achetait sans aucun problème. Mais, dans les années à venir, il ne sera pas évident de trouver les produits sur les marchés internationaux même en ayant l'argent nécessaire pour payer», averti-t-il. Selon lui, la volonté d'assurer la sécurité alimentaire sur la base de la production locale a été clairement affichée en 2008. C'est au cours de cette année-là que la loi 08-16 portant orientation agricole a été promulguée. Elle définit désormais les voies et moyens de protection, de promotion et de régulation du secteur et l'organisation de la profession d'agriculteur. Puis il y a eu une politique de recentrage qui consiste en la révision des techniques en vigueur et des mécanismes d'intervention des pouvoirs publics. Le secteur est sous-équipé La politique du secteur s'articule sur trois volets. Le premier consiste en le «renouveau agricole». «La politique du renouveau agricole regroupe l'ensemble des programmes individualisés qui ciblent les filières stratégiques, c'est-à-dire celles qui fournissent les produits de base comme les céréales, les orges, le lait, la pomme de terre, les agrumes secs, l'huile d'olive, les dattes et les viandes rouge et blanche», explique le directeur de l'INRA. Par les chiffres, le conférencier précise que l'Algérien a consommé 42 kg de pomme de terre par an en 1995 contre 95 kg cette année. En 2014, cette ration sera portée à 120 kg par an et par habitant. Ce niveau de consommation fait de la pomme de terre une filière stratégique. Depuis trois ans, les autorités travaillent ainsi à l'organisation des différentes filières en les dotant de conseils interprofessionnels regroupant les importateurs, les industriels et les agriculteurs de chaque filière. «La filière pomme de terre est la plus construite. Dans 4 à 5 ans, elle sera totalement autonome», prévoit-il. Le deuxième volet de la stratégie du secteur porte sur le «renouveau rural». Il consiste à encourager l'agriculture de montagne par le lancement de programmes territorialisés, qui prennent en comptent la spécificité de chaque localité. «Sur ce volet, les choses avancent. Nous avons environ 2000 projets qui sont en cours d'exécution», affirme l'expert. Le dernier volet consiste à renforcer les capacités techniques et humaines du secteur à travers la formation et la modernisation des équipements et les méthodes. Au regard des objectifs qui lui ont été assignés, le secteur paraît lourdement sous-équipés en matériel et en ressources humaines. Il emploie au total 22 000 personnes, y compris les fonctionnaires de l'administration centrale, intermédiaire et locale. Parmi eux, il y a moins de 1000 cadres qui ont pour mission d'intervenir régulièrement sur le terrain. «Nous n'avons pas encore suffisamment de ressources humaines. Les cadres disponibles font plus qu'il ne faut. Les moyens disponibles sont donc largement insuffisants, mais je pense qu'on s'achemine vers leur renforcement», estime M. Chehat. Dans la remise sur pied du secteur, «c'est l'administration, locale, intermédiaire et centrale, qui pose souvent problème et qui doit être organisée pour être au service des opérateurs. C'est le travail le plus difficile à faire». Le dernier volet de la politique agricole se rapporte à une série de mesures incitatives à l'investissement dans le secteur. C'est la formule crédit sans intérêts qui a été retenue. Il y a le crédit «Rfig», pour financer des opérations à court terme (remboursable en trois ans) et le crédit «Ettahadi» pour les investissements lourds. L'application de cette stratégie n'est qu'à ses débuts, nuance le conférencier. «Il y a encore beaucoup de choses à faire». L'agriculture se développe en Algérie au rythme de 8% annuellement alors que le secteur progresse de 2% à l'échelle mondiale. A ce rythme, elle exerce une grande pression sur les secteurs de l'industrie et de l'agroalimentaire qui n'arrivent pas à satisfaire la demande exprimée en matériel agricole et en transformation des produits. Le directeur de l'INRA assure qu'il existe des régions où les agriculteurs n'arrivent pas à transformer leurs olives en huile en l'absence d'usines. Le même problème se pose avec la tomate. «Nous sommes sur la bonne voie. Le problème, c'est de savoir si l'on peut maintenir ce rythme de développement», conclut M. Chehat.